Avant toute chose, choisissez bien la cuisinière. Il faut qu’elle soit imposante, sans prétendre pour autant à la géanterie : de proportions amples et altières, elle doit cependant culminer, babouches comprises, à deux centimètres maximum au-dessus de votre crâne.
La peau doit être blanche, tirant sur la farine, ferme et cependant moelleuse, les volumes se mouvoir avec harmonie selon une logique des sphères terrestres. Les cheveux seront noirs, longs, et portés en chignon, bien haut pour dévoiler une nuque grasse et arrondie, soulignée de poils follets.
Bien, la semoule vient d’Algérie et sera malaxée à même la table de formica dès le matin, en cercles concentriques réguliers. Elle sera humidifiée et pétrie de beurre rance, à raison d’un bon morceau par kilo de semoule. On la laissera reposer, avant de recommencer l’opération une ou deux fois dans la matinée.
NB : Il s’agit toutefois de libérer la table pour onze heures, parce que sinon, où est-ce que vous poserez votre verre de café du matin ?
Les légumes sont bouillis à la vapeur, avec les graines de pois-chiche que l’on aura laissé tremper toute la nuit dans une timbale d’eau froide. Les viandes sont cuites dans le jus des légumes, avec de fines herbes et des épices diverses et variées (évitez toutefois le clou de girofle ou la banane séchée, assez décevants). Pour les merguez, princesses du plat, un sort aristocratique leur est réservé, et elles seront grillées à part, sur une pierrade de préférence.
Bon, une fois que tout est terminé, la cuisinière vous sert dans la salle à manger, c’est plus classe et vous pouvez allumer la télé sur un programme intellectuel comme le juste prix. Le couscous ne supporte pas en effet une discussion esthétique de haut niveau : c’est un plat particulièrement salissant, si l’on ne surveille pas les ingrédients dans l’assiette. Plusieurs auteurs incriminent le vin de Boulaouane comme responsable de ces inconvénients textiles, mais pour ma part, je n’en crois rien. D’ailleurs, je me méfie de tous ces prétendus cuisiniers qui veulent écrire des livres.
Une fois la semoule déposée, un cratère au milieu rempli de jus de viande, on dispose les légumes avant d’arroser abondamment le tout avec le bouillon des légumes et les pois-chiches. Sur ce territoire dévasté par de succulentes inondations, vous jetterez généreusement l’aide humanitaire symbolisée ici par les diverses viandes, dont un mouton bien gras, un pilon de poulet safrané et autres morceaux parfumés et fondants. La merguez se met directement à la bouche, comme si vous fumiez un Monte-Cristo, histoire de donner de la chaleur à vos paroles.
En effet, après avoir touillé longuement la merguez dans l’harissa, vous mordez dans la chair grillée et odorante ; tandis que votre visage devient rouge vif et que vous luttez pour ne pas pleurer, saisissez fermement le poignet dodu et droit de la cuisinière.
« Où sont les amandes ? » Demandez-vous alors d’un ton serein autant qu’impérieux. Cette partie est essentielle, et il convient de trouver tout de suite le juste ton. On a déjà vu des recettes rater lors de ce moment fatidique. Pour les débutants, je conseille une séance d’entraînement devant leur miroir de salle de bains, et non pas devant celui de leur hall d’entrée d’immeuble. Le couscous aux amandes est une recette exigeante.
Donc, la question posée trois ou quatre foi (essayez une progression sonore, c’est parfois un argument supplémentaire), et vous n’avez aucune réponse. Sinon un vague trémolo, un mouvement d’essuie-glace des mains (Tenez toujours le poignet droit, hein !), enfin, bref rien de bien sérieux.
Alors là, animé d’un juste courroux, mais tout en restant maître de vous-même, une sorte de gentleman furieux si vous voulez, vous saisissez la badine[1] que vous aviez astucieusement laissée à côté de votre assiette, vous courbez l’impudente sur la table, popotin vers le haut, et vous la corrigez.
Servez brûlant.
[1] L’école de Constantinople, qui est plus formaliste, propose pour sa part de s’en tenir à l’accessoire ad hoc par excellence, le plat de la main. Du point de vue sensation, c’est évidemment bien plus écologique, et l’on prend davantage conscience des éléments naturels. L’on perd cependant en raffinement intellectuel, alors que c’est l’élément primordial de la recette, et je conseille cette méthode aux débutants et aux sanguins.