Déménagement, la nouvelle nouvelle de Jacques Mondoloni

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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni  offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis.
Merci Jacques.

C’était bien trop tard pour déménager à son âge, 80 ans, mais le sort en était jeté : bien fallu vendre sa maison pour affronter les dettes auprès de la banque et des copains.

Alors voilà il était épuisé, malade ayant attrapé la célèbre tendinite-cartonite qui vous rend presque infirme du bras et coince le lombo sacré.

Il se dit que ce sera une base pour chercher autre chose   — l’appart lui plaisait, lumineux, mais le quartier de bric de broc sentait la banlieue usée, malpropre, abandonnée.
Sa fille qui avait cherché de son côté était plutot enthousiaste : ce n’était pas trop loin de chez elle, pas de promiscuité, et c’était un meublé déjà en ordre de marche. Les peu de meubles qu’il avait emportés – une chiffonnière, une sellette, servaient de décor, à peine s’ils restituaient le souvenir de son foyer.

Sa vie était finie, l’épreuve à franchir avant la fin était trop dure, et il ne pouvait s’appuyer sur une bonne santé pour gagner. Qui pouvait s’occuper de lui, un homme vieux et en conséquence à charge pour ses besoins.

Toutes les femmes avaient disparu de son GPS sentimental, progressivement, avec un pic au moment du déménagement. Leurs voix avaient tinté, stridulé, chanté même, une sorte de jingle publicitaire, puis elles s’étaient retournées contre lui, le narguant d’autorité. « Fais demi-tour !  » elles lui lançaient, assumant la vengeance, l’effacement en train de se produire. Les voix du GPS donnaient rendez vous en enfer — «  t’es bien seul, connard, à présent !  »  disait celle qui était la plus tonitruante, jouissant de sa puissance.

Le changement d’adresse est un déracinement, mais aussi un prétexte à la réconciliation, à la renaissance : « les fâchés de 30 ans » avaient repris le contact dès que le bruit avait couru, et, dans les conversations gyrophares du portable, il apparaissait que tout était oublié, pourquoi cette brouille, on ne savait plus ?

Il a de nouveaux amis,   leurs mots de concorde dégagent une odeur de vin bouchonné, mais il y goûtera en trinquant sans faire la grimace.

Ils vont passer le voir, c’est promis… Il a acheté un paillasson.


Copyright Jacques Mondoloni, décembre 2023, Avignon.


Infaillibilité, qu’i disaient... une nouvelle inédite de Peter Amfav

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Dans la file des moutons qui attendaient en marmonnant l’exécution de leur sort, il s’immisça. Derrière lui, seuls à rire et à anticiper la joie des coups à venir et des bières consécutives, braillaient des gaillards en tenue de sport vert anglais. Aucune tenue, ces rugbymen. L’ingénuité ne pouvait leur servir de viatique.

Le jeune du sas bredouilla dans sa barbe maigre, épuisé par la répétition des questions inanes. « Liquide ? Tablette ? Ordinateur ? ». Il souleva les épaules en guise de réponse. L’employé ne fit pas attention, passant au suivant ; il y avait toujours un suivant dans cette chaîne d’indifférence agressive qui unissait personnel au sol et candidats au ciel.
Il s’avança dans une autre file, devant un encadrement de métal ouvert sur l’inconnu. Là aussi, on ne progressait pas plus vite. Une femme de l’autre côté du seuil décidait toute seule de la préparation psychologique suffisante des candidats, faisant un signe aux impétrants chanceux, refoulant une fois ou deux ou trois, peut-être à l’infini, ceux qui ne convenaient pas. Soit qu’ils sonnaient, soit qu’ils dringaient de manière aléatoire, soit qu’ils conservaient un signe ostentatoire autant qu’inconvenant, dont il leur fallait illico se débarrasser.
Les rituels de purification deviennent de plus en plus complexes, pensa-t-il. Comme on ne pouvait plus fumer désormais, mais juste laisser les forêts brûler dans le monde, il essaya de ne pas se fâcher, et attendit plusieurs longues minutes. Enfin, ce fut à lui.
– Écartez les bras, dit la cerbère, une quinquagénaire qui ne croyait plus à l’amour. Un regard suspicieux, et subtilement sadique, lui servait de rempart contre l’empathie.
Il déplia alors ses avant-bras qu’il avait tenus serrés sur sa poitrine, et au bout de sa main droite le Glock poppa une seule fois. La femme s’écroula, un trou noir entre ses deux yeux. Il récupéra son bagage sur le tapis roulant, et remit sa ceinture, pendant que les collègues de la cerbère se massaient, l’air crispé, devant son corps immobile.

                                                           ****

Dans l’avion, l’hôtesse refusa avec courtoisie de lui servir une coupe de Champagne. Elle lui demanda en revanche de boucler sa ceinture.
– Mais je ne vais pas loin, répondit-il, en souriant. Il croyait toujours à la vertu du sourire, même dans un monde de robots. Je descends bientôt.
Elle grimaça en retour, de cette mimique particulière que les femmes du monde entier réservent aux gros cons.
– Bouclez votre ceinture jusque là, Monsieur. Pour me faire plaisir.
Il acquiesça, il voulait lui faire plaisir.


****


Là-haut, il n’y avait pas de file d’attente. Il n’y en avait jamais, puisque tout était écrit. Une certaine conception de la norme de qualité. Il se retrouva dans le bureau étriqué des explications, avec une seule fenêtre donnant vers l’extérieur. On ne voyait que le gris des cumulo-nimbus. De toute façon, il n’était pas là pour s’extasier. Mais pour s’ex-pli-quer.
– Je ne sais pas vraiment ce que l’on va faire de vous, commença le superviseur.
– Vraiment ? répondit-il.
– Ne soulignez pas tous mes propos de votre ironie légendaire. Ces derniers temps, vous êtes... Le superviseur réfléchit aux termes qu’il allait employer. Il était si peu habitué à redresser les clous tordus. Enfin bref, vous vous permettez des gestes inappropriés.
– Comme de tuer des gens qui doivent mourir ?
Le superviseur leva alors les yeux de son dossier.

– Oui, lorsque vous les tuez avant l’heure.
– Mais il me semble...
– Il vous semble ?
– Il me semble que cela s’est déjà produit, au moins une fois.
– Ah, mon cher je vous interromps, je vous ai déjà dit que l’Ange Élie, c’est du passé. Ce qu’il a pu faire sur terre à son époque est totalement dépassé.
– Ah, il y a donc un passé ?
– Non, ce que je veux dire, c’est que nous n’avons pas tout repris de la tradition. Vous lisez les notes de service, quand même.
Le superviseur ne se courrouce pas, il n’a pas été conçu pour cela. Simplement, il éprouve quelque agacement à répéter tout le temps les mêmes choses à cet agent.
– Les notes de service reflètent-elles l’esprit même du projet de service ?
– Euh... Que voulez-vous dire exactement ?
– Exactement, pas grand-chose. Vous savez, je suis Irlandais...
– Quoi ?
– Je suis Irlandais
– Tttt... Pas du tout, vous avez été créé dans votre forme primitive en Irlande. Ce n’est pas la même chose. Et puis ne vous asseyez pas, quand je ne vous y autorise pas.
– Vous pensez que l’on argumente mieux debout ?
– Je ne sais pas. Ce n’est pas le propos de toute façon.
– Le propos, c’est de me reprocher des actes de miséricorde ?
– Non de vous reprocher l’écart par rapport à la règle. Et levez-vous, je vous l’ai demandé. Et levez vos pieds de la table basse. Nous ne sommes pas en détente.
– Ça vous ferait du bien pourtant, superviseur. Apprendre à s’écarter de la règle, apprendre la miséricorde, apprendre à s’avachir dans un bon fauteuil. Vous avez du feu ? Merci. Apprendre à fumer un bon cigare. Vous ne sortez pas assez d’ici, vous vous enkystez dans vos habitudes, vous voyez le mal dans la différence et l’autonomie.
– L’autonomie est susceptible de nous conduire hors du chemin.
– Il n’y a pas de chemin, juste l’impénétrable. Vous comme moi, nous n’y comprenons goutte, nous avançons et nous faisons notre devoir, du mieux que nous pouvons.
– Vous devez réapprendre le respect de la...
– Superviseur, ne devenez pas tout rouge, je vous en prie. C’est votre côté allemand.
– Mais je ne suis pas Allemand.
– Oui, c’est vrai, comment vous dites déjà ? Vous avez été créé dans votre forme primitive en Basse Saxe. Et ce n’est pas neutre de naître là-bas. On conserve toujours quelque chose de l’esprit du peuple. Nous les Irlandais, nous aimons les autres, nous aimons parler, boire et rire. Et vous les Allemands, vous aimez la règle. Vous voyez la différence ?
– La différence, c’est que je suis votre superviseur.
– La différence, c’est que vous ne m’aimez pas ! Moi, je vous aime bien. Je ne dis pas que j’irai jouer avec vous au 421, mais je vous aime bien. Car vous faites votre devoir avec sérieux.
– Écoutez, je comprends où vous voulez en venir, je suis Allemand donc je suis sérieux. Vous êtes bordélique donc vous êtes Irlandais.
– C’est bien, vous commencez à manier l’ironie vous aussi. Vous n’êtes pas un cas désespéré !
– Je vous remercie de ne pas me juger.
– Et qui donc peut nous juger, n’est-ce pas ? Vous avez un cendrier ? Bon, je vous en achèterai un la prochaine fois.
– Il y aura encore une prochaine fois ? Vous n’êtes pas décidé à modifier votre conduite inappropriée.
– Il y aura toujours une prochaine fois. Je vous porterai un cigare aussi, si vous êtes sympa.


****


L’ascenseur ne marchait plus très bien. Il grinçait et tremblait à chaque porte palière. À force de planquer des paquets dans le local technique, les dealers avaient dû bousiller quelque chose. Au septième, il longea le couloir étroit et long qui serpentait au milieu de la tour, faiblement éclairé par un néon solitaire. La porte n’indiquait aucun nom. Plus personne n’avait le droit à une identité. Les voisins savaient qui vous étiez, les dealers d’en bas aussi, ça suffisait pour survivre.

Il sonna.
Au bout de longues minutes, la porte s’entrouvrit. Un gars en tricot de peau, plutôt jeune, mais au regard fatigué.
– C’est pourquoi ?
– Ça vous dérange si je reste les bras croisés ?
– Euh... non. C’est pourquoi, je me lève tôt demain.
– Monsieur Jamel, vous allez prendre des vacances cet été, vous rentrez à la maison, à Meknès, c’est ça ? – Euh oui, mais qu’est-ce que vous voulez, je...
– Je sais, je sais, vous vous levez tôt pour aller à votre usine de Barbès. Ce que je veux dire, c’est que vous ne devez pas prendre l’avion, mais le bateau. J’ai déjà averti les voisins de la cité qui partent avec vous. Prenez le bateau, c’est mieux pour vous.
– Quoi ? Mais de quoi vous parlez ? On n’a pas encore pris le billet. Comment vous savez...
– Je sais.
– Et qui vous êtes, hein, qui vous êtes ?
Il a commencé à marcher et il se retourne pour lancer.
– Appelez-moi Elie... Elie Pádraig O’Neil. Je suis Irlandais.
Il s’éloigne en sifflotant Danny boy.
Quelle star !

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A propos de l’auteur: Tant qu’il demeurait oisif dans les highlands, Peter Amfav (prononcer AM-FAO) ne se considérait pas comme un insulaire. Depuis qu’il travaille dans la Tek à Dublin (pauvre de lui), il a compris son malheur. Comme le whisky (really?!) du coin ne lui en bouche pas un, les guitares d’Angus, Page, Eddie et Jimi l’aident à passer les pages (entre noir et SF façon Dick) et affronter les grands moments de solitude. Les blondes à forte poitrine courent vraiment de plus en plus vite. Saleté de fitness !

Son improbable rencontre avec l’écrivain japonais Kentaro Okuba et l’auteur corse Pietr’Anto’Scolca donna naissance à un vertigineux recueil de nouvelles intitulé Petit plongeoir vers l’abîme publié en 2008  dans la collection Nera des éditions Albiana.


#2022 : Les calendriers, la nouvelle de Jacques Mondoloni

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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni  offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis.

Pour 2022, il nous livre  "Les calendriers". Merci Jacques.

 

Dans sa voiture il branchait le GPS pour ne pas être seul. Que quelqu’un parle.  Pourtant la voix féminine du guidage lui déplaisait, trop « froide et directrice »,  il aurait préféré la voix des idoles de sa jeunesse cinéphile : Jeanne Moreau ou Lauren Bacall, qui enrobait n’importe quel mot de chaleur intime, de sensualité élémentaire.

Les pirates de la bande du Val Brouette, toujours le nez dans les ruines numériques qu’ils avaient investies à la suite de « l’extinction » de léquipe de maintenance d’ Orange, tous morts du virus,  disaient qu’on pouvait changer la voix, opter par exemple pour une gorge masculine, mais on n’avait pas trouvé le moyen de le faire.

Mais il s’en foutait : c’était une présence, une musique d’ambiance, d’ailleurs il n’écoutait pas les indications, tout était FAUX, parfois même un trajet se faisait entendre dans une langue étrangère inconnue, de la pure poésie. Une fois il avait capté du chinois, et une fois la voix de la femme titulaire lui avait conseillé, de manière incisive, de prendre par la rue Rivoli alors qu’ils étaient à 1000 kms de Paris, dans les basses Alpes, au lieu dit Le Val Brouette.

Un voix féminine au moins n’était pas synonyme de catastrophe, de pandémie –tous ces professeurs qui s’étaient querellés sur les ondes sur la propagation du mal, qui avaient lancé sur les routes les habitants des villes dans un mouvement de panique.

Il avait eu de la veine de s’accrocher à un groupe de jeunes gens, étudiants en informatique pour la plupart, qui savait où se réfugier, et surtout qui avait su prévoir la crise, bourrant une camionnette de ravitaillement et de carburant avant de se diriger vers une fermette à flanc de colline, entourée de moutons, qu’on ne touchait pas en principe : la majorité des garçons et des files du groupe étaient végétariens, pour le moment (une minorité avançait l’idée d’un prochain méchoui).  

Il remonta vers Val brouette  par le chemin caillouteux des bouleaux et gara la voiture devant l’ancienne bergerie. Dans la salle commune qui sentait le fromage, il remarqua Victor devant le poste de télévision, qui ne captait plus les chaînes de la TNT, elles avaient disparu des écrans, mais on avait déniché dans un débarras une cassette vidéo d’une émission de naguère : « Accusé Levez vous ! » Elle était consacrée à l’affaire de l’étrangleur tueur d’enfant qui avait terrorisé plein de parents en ces années là, et Victor, ayant nettoyé le lecteur, s’en repaissait tous les jours, en boucle.

Plus loin dans l’escalier qui montait aux combles, les marches croulant sous les calendriers découverts dans une malle du grenier,  il assista à la dispute habituelle, stimulée par Sylvie, une virago, concernant la recherche de la date : depuis la panne du téléphone,  d’Internet, des objets connectés,  on ne savait plus quel jour on était   c’était l’hiver, par recoupements, encore que la température qui frisait les 20 degrés dans ce coin de France parasitait l’esprit de  déduction. Dans ces conditions pouvait on se souhaiter bonne année ?  Avait-on passé la date ou existait-il une attente à respecter ? Deux clans à ce sujet s’affrontaient, et les plus vociférants, c'est-à-dire partisans d’un réveillon gourmand, affirmaient tous les jours que c’était l’heure   mais on les soupçonnait de vouloir tuer un mouton et la résistance était forte pour contrecarrer ce « crime ».

On recherchait une preuve, un indice, dans les calendriers laissés par l’ancien propriétaire on prononçait le nom des saints correspondant à cette période, de mémoire on essayait de se rappeler les météores propres à cette saison, on étudiait chaque ligne des mois de décembre.

— On est à peine à Noël ! s’emporta Denis qui était une « tête ».

  Je le sens, c’est la St Sylvestre, dit le « viandard «  de la bande. 

La dispute se dissipa quand les filles se jetèrent sur les garçons pour les embrasser. Bonne année, chéri !


Le retour de l’astronaute par Jacques Mondoloni

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Fidèle à sa belle et génèreuse habitude, à chaque nouvelle année, l'écrivain Jacques Mondoloni livre une nouvelle courte nouvelle. Grand merci Jacques !

Après un séjour de 6 mois dans la station spatiale internationale ISS, SSI en français, j’avais hâte pour les fêtes de fin d’année de retrouver la Terre, ma terre, le plancher des vaches,  bien que je connusse l’état de confinement général qui sévissait sur la planète à cause de la pandémie Covid 19 qui avait frappé les populations pendant mon absence.

Mais cela ne m’avait pas arrêté : question confinement  j’avais ma dose,  je savais que j’allais au devant du danger, mais 6 mois d’apesanteur avec tout l’inconfort, tous les troubles qu’elle représente pour un humain normalement constitué n’était pas viable au-delà. Et confinement pour confinement, hein…  

J’avais rempli ma mission scientifique, assez fastidieuse à la longue, et puis il n’était pas prévu une prolongation au programme, c’était le moment du retour, stipulé dans mon contrat  le commandant russe du vaisseau m’avait cependant proposé de me garder, tirant sur la réserve d’oxygène, prêt même à nous mettre en hibernation à tour de rôle quelque temps pour en réduire la consommation.

Mais j’avais écarté son offre généreuse :

J’ai une compagne, commandant, et je me languis …

Je n’avais pas envie de lui avouer que je ne supportais plus les conséquences intimes provoquées par notre situation : se laver, pisser, déféquer (le fameux space poop challenge  par aspiration)) sont des instants désagréables, et se masturber malgré la libido qui me traversait est quasi impossible parfois on nous pose la question à brûle pourpoint sur nos fluides  mais c’est aussitôt coupé à l’antenne. Pourtant c’est la chose la plus secrète de notre technologie, la marque du génie humain

J’insiste : on vit en permanence dans la promiscuité. Jamais on ne peut se retirer dans son coin, regarder le portrait de sa dulcinée, et évidemment on ne peut lui écrire une vraie lettre.

Est-ce que je vous épargnerai la description de la vie à bord, la façon de flotter, les manœuvres, les sorties dans l’espace autour de l’ISS, ce décor familier aux téléspectateurs du monde entier, ces « visiteurs » qu’on doit divertir séduire enchanter par notre  « loft », notre cirque, destinés à l’audimat ? Les médias  nous ont confié un rôle d’amuseurs   on a même appris des vannes, des blagues, des traits d’humour en trois langues  pour répondre aux journalistes qui nous titillent depuis leur cabine du point presse !

Certes, je suis devenu une vedette du petit écran, mais je déteste l’image romanesque, le mythe de « la femme de marin » qui attend au foyer, et s’élance au port à la moindre rumeur d’accostage  de l’aimé dans l’ISS c’est pire : le mythe se transforme en séparation, presque en rupture : ce n’est pas la distance, en orbite à 400 kms , qui compte,  c’est la torture de voir la Terre par le hublot, et d’imaginer ma mort en direct, ma mort dans le vide, ma mort muette, dans un festival de publicité sous les yeux de mon amour

Pour le moment, pas d’alarme, de panne, on communique avec nos prochestous les deux ou trois jours terrestres par satellite   communication plutôt courte, convenue, car tout le monde écoute dans la station, et on subit les quolibets de l’équipage quand on se lâche : l’Américain est un rustre vantard, les deux Russes parlent continuellement de se saouler quand ils poseront le pied sur la base,  et l’Indienne entre deux expériences apprend l’anglais avec méthode : sa conversation suit les exercices de sa grammaire.

Donc organisons mon retour, dare dare, pronto, double quick… rentrer chez moi !

  Bien, si c’est votre volonté, mais vous courez…

 Un risque ? j’assume… et puis vous aussi vous allez rentrer

Les nouvelles sont mauvaises, des millions de gens enfermés, beaucoup de malades, et de morts

Je n’imaginais pas ma compagne morte : la première chose que je souhaitais faire c’était de la toucher, de la déshabiller, de la serrer contre mon corps nu, enfin débarrassé de l’aspirateur d’urine.

Le retour s’est bien passé, selon le rituel connu de n’importe quel Terrien qui a la télévision. Dans la capsule bien sûr j’ai eu peur car le bruit est effrayant quand on rencontre l’atmosphère, et l’on se demande si elle ne va pas fondre au contact de l’air.

Le parachute s’est déclenché comme prévu au point S comme Sea, mais on dit aussi le point H comme home, ou le point G comme Ground, mais allusion au point Jouir.

J’ai senti le choc avec la mer, et exalté j’ai attendu d’être désincarcéré de mon Soyouz. Par le hublot pour juguler mon impatience,  j’ai cherché à percevoir la meute des caméras, les majorettes,  les officiels de l’Agence sur leur estrade, et ma compagne dans son ciré… -- le comité d’accueil qui normalement m’était dû. 

Personne.

Au bout d’une demi heure à me ronger l’esprit, et commençant à suffoquer dans ma combinaison qu’est ce qu’elle foutait l’équipe de la régie ?   j’ai armé les boulons explosifs  de déblocage de la porte du Soyouz, et après une sorte de roulade dans la capsule j’ai été précipité dans l’eau.

Personne.

Je n’allais pas me noyer grâce aux flotteurs de la combinaison  et maintenant je pouvais enlever mon casque pour me saouler d’air naturel.

Personne. Rien. J’étais au milieu de l’océan selon le scénario médiatique du Retour maintes fois filmé.

Le centre spatial de Baïkonour m’avait posé un lapin ? Ou alors une erreur de fuseau horaire ? Le navire ou l’hydravion  qui devait me récupérer avait-il subi une avarie ? une mutinerie ?

J’ai nageoté, j’ai bouffé un biscuit de survie, j’avais faim, j’avais froid, je me suis assoupi, désespérant de l’horizon…

Puis je l’ai vu tracer vers moi à toute allure, un genre d’escorteur, précédé d’une flamme, un jet jaune genre lance flamme, giclant de la proue.

Deux types recouverts d’un bouclier de plexiglass m’ont hissé sans ménagement, alors que les astronautes ne peuvent se mouvoir à leur retour sur Terre, et sont, comme c’est la règle, fêtés en héros qu’on bichonne.

L’un deux m’a crié en anglais :

Ton nez ! 

Je me suis retrouvé avec un aiguillon de coton dans les narines. On m’a tordu les bras, on m’a menotté, et mis en quarantaine dans une cellule de la cale.

L’autre type au moment de fermer la grille de ma geôle a dit :

Tu pouvais pas rester là haut, connard ?


GPSpopuli par Jacques Mondoloni

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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni  offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis.

Pour 2020, il nous livre  "GPSpopuli". Merci Jacques.

 

Comme chaque année les tapis roulants s’arrêtèrent, les caméras de surveillance s’éteignirent, le GPSpopuli cessa d’encadrer la masse humaine de la planète.
Les tapis roulants hors service des super marché et des aéroports avaient pour conséquence l’impossibilité de consommer et de voyager.
Ies caméras de surveillance occultées laissaient la bride sur le cou aux délinquants, surtout aux refoulés tentés par le mal.
Le GPSpopuli, le système de guidage par géo localisation qui canalisait toutes les activités du globe, n’accompagnait plus la course du citoyen, et des marchandises. La circulation dans les villes connaissait dans les heures qui suivaient des embouteillages monstres.
Les autorités disaient que c’était la faute à un sabotage, à des grèves, ou à une panne de l’ordinateur central, voire ressortait la fable d’une Opposition, paralysante, intriguant dans l’ombre.
Les gens s’en foutaient de ce mensonge de l’Organisation. Chaque année c’était pareil : ils attendaient ce moment pour se défouler, se goinfrer de violence.
La violence se traduisait par l’incendie de banques, de voitures, n’importe lesquelles, dans les banlieues à problèmes et même aux abords des monuments du patrimoine, et des emblèmes du luxe: on savait par la télévision que les maîtres de l’Organisation se trouvaient aux sports d’hiver ou dans leur résidence secondaire, voire insulaire, protégés par la police.
La violence se traduisait par l’attaque du sexe féminin. Le mouvement #touchepasàmonclit était débordé, demandant aux femmes de rester chez soi mais la plupart passaient outre, ne voulant pas le retour de la femme au foyer d’autrefois.
La violence faisait exploser le porno, les hommes se ruaient sur les boutiques où l’on proposait des vidéos vintange sur grand écran, interdites en temps normal. Le mouvement hotfuck distribuait des magazines trash, vendait des godemichés aux passants, les incitant à passer à l’acte. La frustration due à l’espionnage de l’intime se transformait en une sarabande de vengeance.
La violence contaminait les fêtes de la bière, les bacchanales urbaines, les saturnales campagnardes, les carnavals genre moyen age, autorisés, couverts par l’Organisation ce jour là. Il y avait des bagarres gigantesques, des dégâts faramineux coûtant des millions d’euros.
Chaque année on dénombrait 1 million de viols, 1 million de morts, et des millions de victimes collatérales dans le monde entier.
Mais le Défoulement consenti par le pouvoir garantissait l’Ordre sur la planète et la pérennité de l’Organisation.

©  Jacques Mondoloni, Janvier 2019.

A découvrir dans les récentes publications de Jacques Mondoloni, deux participations à des ouvrages collectifs : Catalans aux éditions Arcanes 17 et Corse.2.0  aux éditions Maia.


Les pirates de l’an neuf par Jacques Mondoloni

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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis.

Pour 2019, il nous livre  "Les pirates de l'an neuf". Merci Jacques.

 

Qui n’a pas été victime de l’hameçon d’un pirate d’internet, l’appât… le filet qui bouffe vos adresses, relations, copains, amis, amours, maîtresses, parents, enfants… « Au secours je n’ai plus de téléphone, j’ai fait une chute, Niagara, Zambèze, je suis dans un hôpital de brousse, le gourou va m’opérer, le sorcier vaudou me demande de verser du pognon, vite un mandat international, une recharge Transcash, je te rembourserai bientôt, donne ton RIB, ton code d’accès bancaire pour que je puisse m’occuper du virement dès réception ». Le pirate ajoute qu’il compte sur votre discrétion, allusion à une maladie honteuse, une intervention scabreuse, il n’a pas peur de jouer au proctologue, la coloscopie aurait décelé le crabe des tropiques, le cancer de la savane… Il termine qu’il est bien gêné de faire appel à vous, mais c’est une question de vie et de mort, alors faut cracher !

Le message pirate est souvent bourré de fautes d’orthographe et la syntaxe danse le rigodon… n’importe quel destinataire qui a suivi l’école a un doute, et se garde de réagir, l’hameçon part même à la poubelle.

Lire la suite "Les pirates de l’an neuf par Jacques Mondoloni" »


Une nouvelle nouvelle de Jacques Mondoloni

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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis. Pour 2018, il nous livre  "La sacoche". Merci Jacques.

Tous les ans au moment du réveillon de la Saint Sylvestre, il perdait sa sacoche contenant tous ses papiers.
L’endroit idéal, c’était les toilettes d’un restaurant ou d’un bistro : il suffisait de la libérer de la ceinture où elle était accrochée, et elle tombait le long de la cuvette.
Evidemment il y avait des gens honnêtes venus se soulager après lui qui rapportaient la sacoche au taulier.
Alors il était obligé de se manifester, s’il était accompagné, mais il ne bougeait pas, s’il était seul à table. Heureusement il y avait des indélicats, de vrais voleurs qui gardaient son bien. Adieu sacoche, adieu les documents qui marquaient sa vie de citoyen, le sentiment de n’être plus rien le parcourait jusqu’à la jouissance.
Mais ce n’était qu’un au revoir : on ne pouvait exister socialement longtemps sans carte d’identité, sans permis de conduire, sans la carte grise de son véhicule, sans assurance, sans carte Vitale, sans carte de mutuelle, … : on allait vite rencontrer des difficultés, un rejet des instances de l’administration, et un soir cela se traduirait par un contrôle de police, à un barrage, qui vous immobiliserait pendant une bonne heure dans un climat de soupçon, voire de violence si une altercation se produisait avec les forces de l’ordre ( une fois à un réveillon il avait été emmené au poste).
Il fallait reconstituer les papiers, après la jouissance, c’était la punition.

A présent, le recours aux services de la préfecture avait disparu, tout se faisait par internet : tout un cheminement avec des obstacles vicieux, des chausses trappes numériques, des mots de passe compliqués, une fois sur deux refusés, qui avaient le don de l’énerver, de lui donner la fièvre, de le glacer, de lui enlever tous ses moyens. Il plongeait dans une sorte d’enfer de lumière, entouré de mille Satan agitant sa carte bleue, où il perdait sa lucidité. Alors il devenait coupable, il tombait malade, il s’allongeait sur son lit, pensant mourir, et l’arrivée de la nouvelle année se présentait sous la forme de l’horreur.
Evidemment, il redemandait une carte bleue à sa banque car, sans elle, il ne pouvait régler les timbres fiscaux électroniques des duplicata, ni même faire le plein d’essence aux stations services de sa région.

Tout le mois de janvier, il s’enfermait chez lui, immergé dans son ordinateur, bataillant contre le site gouv. où des robots avec leurs complices humains le narguaient et manoeuvraient pour le rendre fou.
Se replier ne signifiait pas pourtant cesser de vivre. Il sortait. Mais
par crainte des contrôles de police, il allait au supermarché par des routes secondaires, payant ses courses en liquide (ayant programmé avant les fêtes la perte de ses papiers). Et pour les médicaments, comme il se rendait toujours à la même pharmacie, il pouvait les avoir sans carte Vitale, après tout à son âge, comme la santé est un métier plein, il faisait office de rente pour l’industrie pharmaceutique.

Février le libérait de la transe, et une existence atone s’annonçait qui allait durer jusqu’à l’année prochaine. Les duplicata lui parvenaient peu à peu, la complaisance de gouv., et il lui fallait se procurer une autre sacoche.

© Jacques Mondoloni- Janvier 2018


Le clandé du réveillon, une nouvelle inédite de Jacques Mondoloni


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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis. Pour 2017, il nous livre Le clandé du réveillon. Merci Jacques.

C’était une baraque tapie derrière les ruines, dans la zone interdite, sous la lumière cendrée du soir pour seul éclairage : avec l’arrêt des saisons, la fin du Climat, le jour et la nuit n’étaient plus aussi marqués, les écarts de température étaient peu perceptibles, le monde continental s’était figé dans une douceur tiède. C’était la faute à l’axe de la Terre qui avait bougé, et les grandes figures scientifiques étaient impuissantes à restaurer les cycles, à remettre notre planète sur ses rails, dans sa cage orbitale.

--  Je ne vois pas la police, dit Karl qui s’épongeait le front tout en comptant ses biftons.

 Le réveillon n’était pas donné chez Madame Mute, une ancienne maquerelle des Balkans, à la tête des clandés du grand District fédéral, et en plus il fallait prévoir de corrompre les flics en cas de descente (ils appelaient ça la taxe pour « maison de tolérance »), car il était défendu de saluer le nouvel an : la Terre tournait, le temps passait, mais il était malveillant de le fêter, après la catastrophe qui avait effacé tous les repères (on ne publiait plus de calendrier, c’est seulement dans les jeux télévisés qu’on demandait aux candidats de se référer à la date du moment, et beaucoup perdaient, par ironie le gagnant se voyait offrir une montre digitale).

Maintenant le tripot, appuyé à  la décharge qui fumait, l’ancienne loge du gardien,  était visible.  On entendait des bruits de voix, signe qu’on préparait le réveillon derrière la porte en métal. Mais il fallait prononcer le mot de passe pour en franchir le seuil :

-- Enterré ou incinéré ?

--Je ne veux pas finir brûlé comme une ordure !

-- Allez, soyez les bienvenus…

A l’intérieur, sous une enseigne représentant un cochon qui dansait sur une patte au sommet d’un globe, des convives s’activaient devant une table recouverte d’une toile cirée grise, disposant en chuchotant les amuse gueule qu’on trouvait naguère pour l’occasion : olives et cacahouètes.

Aucune femme n’était sur son 31 par crainte d’avoir été repérée, voire dénoncée par un voisin à la police : c’était devenu un délit grave, « honteux »,  et les belles robes de prix restaient à dormir ce soir là dans les placards, malgré les désirs de s’étourdir qui en émanaient.

Des hommes fumaient, commençaient à boire sec, et un type à la voix forte se mit à parler du champ magnétique de la Terre qui allait s’arranger : on allait « la ramener dans le droit chemin, cette salope ! » Mais l’audience était plutôt sceptique : ça prendrait combien de temps ? Des Millénaires ?

--  Le basculement s’est fait en à peine une année ! Alors ? s’écria le type, lâchant qu’il fréquentait certains milieux autorisés étudiant la question.

Karl, qui s’était acclimaté à la tiédeur, répondit qu’il n’était pas pressé de revenir au cycle des saisons d’avant.

-- Un paquet de bombes atomiques dans le cul, et elle reviendrait à sa place ! Intervint un autre type déjà éméché.

-- On risque de l’envoyer au fond de la galaxie !

-- Il faut bien doser pour la remettre de travers, c’est tout.

-- Un fausse manœuvre et on hérite d’une période de glaciation.

-- Ça vous plait ce temps monotone, le ciel sans contraste ?

--  Au moins on reste en vie.

-- On n’a pas la sensation de vieillir…

-- C’est vrai ça, la mort devrait être remboursée par la sécu !

La matrone apparut et tout sourire présenta à l’assemblée le repas du réveillon : des poulets froids, disant qu’on ne pouvait risquer d’alerter la police en faisant du feu.

-- Quelle ripaille ! s’écria un déçu.

-- Vous voulez finir au poste, la gueule assommée par des somnifères ? répondit madame Mute qui tendait la note.

Par diversion le protégé de Madame Mute, un proxo à la retraite, proposa un toast en regardant ostensiblement sa montre :

-- C’est l’heure, bonne année !

Personne ne contesta cette opportunité. Mais cela tombait à plat, personne n’eut envie de s’embrasser, certains même esquivèrent un pas pour s’enfuir, dans un silence péteux. Mais quelqu’un cria dehors, égaré, à moitié noyé dans la décharge, qu’ils allèrent secourir.

© Jacques Mondoloni - janvier 2017


La ronde des Rosebud , une nouvelle de Jacques Mondoloni

Comme chaque année il y avait à son programme « Rosebud ».

« Rosebud » venait des derniers mots prononcés par Orson Welles dans son film « Citizen Kane » et faisait référence à l’enfance du personnage, son paradis perdu qu’on découvrait à la fin sous la forme d’un traîneau qui brûlait dans une immense cheminée avec tous les objets qu’il avait accumulés au cours de sa vie de magnat de la presse   –  entre les flammes qui consumaient le tissu du traîneau on entrevoyait l’inscription « Rosebud »  se désagréger par degrés. Cela signifiait, à la minute fatale, au moment de pousser le dernier soupir : faire le bilan d’une existence, faire le ménage avant de passer de l’autre côté. Mais pour lui, par un glissement de sens, cela signifiait aller vérifier par lui-même que les êtres qui avaient compté, qui avaient failli mourir lors de l’Attentat,  étaient encore en vie, et à l’abri du besoin.

Ils vivaient maintenant hors de son horizon, dans une autre histoire, mais chaque début d’année il allait voir ce qu’ils devenaient, il allait rôder autour de leur maison ou de leur appartement, faisant le voyage, traversant la France, malgré l’effort à son âge que cela représentait, afin de prendre sa revanche sur la distance qui les avait éloignés, séparés  --  « la géographie est contre nous ! » s’étaient-ils plaints à chaque fois qu’il apprenait  un déménagement.

Etaient-ils heureux avec leur nouveau compagnon, compagne, épouse ou  mari, avaient-elles mis au monde des enfants, et ceux autrefois qu’il avait connus ou entre aperçus après l’Attentat,  grandissaient-ils normalement, c’est à dire dans l’insouciance et le confort ?  C’étaient ces enfants dont il voulait tout savoir quand il s’approchait de leur foyer. La mère et  le père avaient-ils les moyens de les élever correctement, dans le respect des autres, l’enseignement de la solidarité et de la fraternité, ses valeurs à lui, proches de la charité inhérente à son éducation  mais laïque.  Et apprendre  qu’il y avait eu un divorce dans l’intervalle le remplissait de chagrin et d’inquiétude : « Rosebud » résonnait alors comme un danger, un échec qu’il devait empêcher : la meilleure manière c’était l’apport d’argent, sous forme anonyme pour ne pas se découvrir, ou l’intervention auprès d’une administration s’il s’agissait d’un problème de logement ou de travail, arrangeant l’affaire en coulisses, se transformant en bienfaiteur « qui a le bras long », malgré l’amputation provoquée par l’Attentat, ou en corrupteur qui sait faire entendre la menace : il n’avait pas à se forcer ayant gardé le goût de l’autorité inoculée pendant sa carrière de préfet .

 Bien sûr des bénéficiaires se doutaient de sa présence : deux femmes rescapées de l’Attentat,  émues par  ses générosités, cherchaient à le contacter, à son ancien bureau de la préfecture, ou directement, ayant réussi à se procurer son numéro : il en avait la preuve par les appels qui s’inscrivaient  sur l’écran de son téléphone, mais il ne répondait pas, il entrait en clandestinité. Tous les mois de janvier, après ses « visites », sa ronde,  il partait à l’étranger, se réfugiant dans un car de touristes dans les hoquets des clic-clac  -- de toute façon il détestait la période des réveillons, le pétillement des fêtes, depuis qu’il avait survécu à l’Attentat.

Heureusement sur le front des « Rosebud », depuis une paire d’années, c’était calme : des bobos, des enfants fugueurs, des compagnons volages, mais pas de mort ou de chômage.

Il regarda sa montre. Bientôt le jour de l’An, c’était le moment de partir rôder autour des « Rosebud ».

© Jacques Mondoloni - janvier 2015

 

JùondploniFidèle à son habitude, à chaque début d'une nouvelle année, l'écrivain Jacques Mondoloni nous livre une  courte nouvelle. Retrouver les précédentes nouvelles de Jacques Mondoloni  dans la collection digitale Nuages Noir lancée depuis 2007 par www.corsicapolar.eu

 


Baiser collé, une nouvelle inédite de Jacques Mondoloni

CouvmondoFidèle à sa belle et généreuse habitude d'offrir à chaque an neuf une nouvelle à ses amis, l'écrivain Jacques Mondoloni livre Baiser collé. Cette nouvelle inédite est disponible, dans la collection Nuages Noirs, en téléchargement gratuit au format EPUB, Kindle ou PDF à partir de la librairie numérique Feedbooks. Romancier, nouvelliste et homme de théâtre, l'auteur de Le Jeu du Petit Poucet et de Le Marchand de Torture, vient de terminer un roman historique :  Mon village à l’heure vert de gris (ou les corbeaux n’aiment pas rouge). A paraître en 2014 aux éditions Oskar. Baiser collé est la cinquième nouvelle que l'écrivain  Jacques Mondoloni livre à la collection Nuages Noirs. A découvrir désormais sur ordinateur, tablette, smartphone ou liseuse et n'importe quel appareil mobile. Grand merci Jacques ! Basgi (pas collé).