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#2022 : Les calendriers, la nouvelle de Jacques Mondoloni

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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni  offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis.

Pour 2022, il nous livre  "Les calendriers". Merci Jacques.

 

Dans sa voiture il branchait le GPS pour ne pas être seul. Que quelqu’un parle.  Pourtant la voix féminine du guidage lui déplaisait, trop « froide et directrice »,  il aurait préféré la voix des idoles de sa jeunesse cinéphile : Jeanne Moreau ou Lauren Bacall, qui enrobait n’importe quel mot de chaleur intime, de sensualité élémentaire.

Les pirates de la bande du Val Brouette, toujours le nez dans les ruines numériques qu’ils avaient investies à la suite de « l’extinction » de léquipe de maintenance d’ Orange, tous morts du virus,  disaient qu’on pouvait changer la voix, opter par exemple pour une gorge masculine, mais on n’avait pas trouvé le moyen de le faire.

Mais il s’en foutait : c’était une présence, une musique d’ambiance, d’ailleurs il n’écoutait pas les indications, tout était FAUX, parfois même un trajet se faisait entendre dans une langue étrangère inconnue, de la pure poésie. Une fois il avait capté du chinois, et une fois la voix de la femme titulaire lui avait conseillé, de manière incisive, de prendre par la rue Rivoli alors qu’ils étaient à 1000 kms de Paris, dans les basses Alpes, au lieu dit Le Val Brouette.

Un voix féminine au moins n’était pas synonyme de catastrophe, de pandémie –tous ces professeurs qui s’étaient querellés sur les ondes sur la propagation du mal, qui avaient lancé sur les routes les habitants des villes dans un mouvement de panique.

Il avait eu de la veine de s’accrocher à un groupe de jeunes gens, étudiants en informatique pour la plupart, qui savait où se réfugier, et surtout qui avait su prévoir la crise, bourrant une camionnette de ravitaillement et de carburant avant de se diriger vers une fermette à flanc de colline, entourée de moutons, qu’on ne touchait pas en principe : la majorité des garçons et des files du groupe étaient végétariens, pour le moment (une minorité avançait l’idée d’un prochain méchoui).  

Il remonta vers Val brouette  par le chemin caillouteux des bouleaux et gara la voiture devant l’ancienne bergerie. Dans la salle commune qui sentait le fromage, il remarqua Victor devant le poste de télévision, qui ne captait plus les chaînes de la TNT, elles avaient disparu des écrans, mais on avait déniché dans un débarras une cassette vidéo d’une émission de naguère : « Accusé Levez vous ! » Elle était consacrée à l’affaire de l’étrangleur tueur d’enfant qui avait terrorisé plein de parents en ces années là, et Victor, ayant nettoyé le lecteur, s’en repaissait tous les jours, en boucle.

Plus loin dans l’escalier qui montait aux combles, les marches croulant sous les calendriers découverts dans une malle du grenier,  il assista à la dispute habituelle, stimulée par Sylvie, une virago, concernant la recherche de la date : depuis la panne du téléphone,  d’Internet, des objets connectés,  on ne savait plus quel jour on était   c’était l’hiver, par recoupements, encore que la température qui frisait les 20 degrés dans ce coin de France parasitait l’esprit de  déduction. Dans ces conditions pouvait on se souhaiter bonne année ?  Avait-on passé la date ou existait-il une attente à respecter ? Deux clans à ce sujet s’affrontaient, et les plus vociférants, c'est-à-dire partisans d’un réveillon gourmand, affirmaient tous les jours que c’était l’heure   mais on les soupçonnait de vouloir tuer un mouton et la résistance était forte pour contrecarrer ce « crime ».

On recherchait une preuve, un indice, dans les calendriers laissés par l’ancien propriétaire on prononçait le nom des saints correspondant à cette période, de mémoire on essayait de se rappeler les météores propres à cette saison, on étudiait chaque ligne des mois de décembre.

— On est à peine à Noël ! s’emporta Denis qui était une « tête ».

  Je le sens, c’est la St Sylvestre, dit le « viandard «  de la bande. 

La dispute se dissipa quand les filles se jetèrent sur les garçons pour les embrasser. Bonne année, chéri !

Commentaires

brigitte celerier

jolie fin et merci

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