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Le clandé du réveillon, une nouvelle inédite de Jacques Mondoloni


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Fidèle à sa généreuse et belle habitude, l'écrivain Jacques Mondoloni offre chaque début d'année une nouvelle en guise de voeux à ses amis. Pour 2017, il nous livre Le clandé du réveillon. Merci Jacques.

C’était une baraque tapie derrière les ruines, dans la zone interdite, sous la lumière cendrée du soir pour seul éclairage : avec l’arrêt des saisons, la fin du Climat, le jour et la nuit n’étaient plus aussi marqués, les écarts de température étaient peu perceptibles, le monde continental s’était figé dans une douceur tiède. C’était la faute à l’axe de la Terre qui avait bougé, et les grandes figures scientifiques étaient impuissantes à restaurer les cycles, à remettre notre planète sur ses rails, dans sa cage orbitale.

--  Je ne vois pas la police, dit Karl qui s’épongeait le front tout en comptant ses biftons.

 Le réveillon n’était pas donné chez Madame Mute, une ancienne maquerelle des Balkans, à la tête des clandés du grand District fédéral, et en plus il fallait prévoir de corrompre les flics en cas de descente (ils appelaient ça la taxe pour « maison de tolérance »), car il était défendu de saluer le nouvel an : la Terre tournait, le temps passait, mais il était malveillant de le fêter, après la catastrophe qui avait effacé tous les repères (on ne publiait plus de calendrier, c’est seulement dans les jeux télévisés qu’on demandait aux candidats de se référer à la date du moment, et beaucoup perdaient, par ironie le gagnant se voyait offrir une montre digitale).

Maintenant le tripot, appuyé à  la décharge qui fumait, l’ancienne loge du gardien,  était visible.  On entendait des bruits de voix, signe qu’on préparait le réveillon derrière la porte en métal. Mais il fallait prononcer le mot de passe pour en franchir le seuil :

-- Enterré ou incinéré ?

--Je ne veux pas finir brûlé comme une ordure !

-- Allez, soyez les bienvenus…

A l’intérieur, sous une enseigne représentant un cochon qui dansait sur une patte au sommet d’un globe, des convives s’activaient devant une table recouverte d’une toile cirée grise, disposant en chuchotant les amuse gueule qu’on trouvait naguère pour l’occasion : olives et cacahouètes.

Aucune femme n’était sur son 31 par crainte d’avoir été repérée, voire dénoncée par un voisin à la police : c’était devenu un délit grave, « honteux »,  et les belles robes de prix restaient à dormir ce soir là dans les placards, malgré les désirs de s’étourdir qui en émanaient.

Des hommes fumaient, commençaient à boire sec, et un type à la voix forte se mit à parler du champ magnétique de la Terre qui allait s’arranger : on allait « la ramener dans le droit chemin, cette salope ! » Mais l’audience était plutôt sceptique : ça prendrait combien de temps ? Des Millénaires ?

--  Le basculement s’est fait en à peine une année ! Alors ? s’écria le type, lâchant qu’il fréquentait certains milieux autorisés étudiant la question.

Karl, qui s’était acclimaté à la tiédeur, répondit qu’il n’était pas pressé de revenir au cycle des saisons d’avant.

-- Un paquet de bombes atomiques dans le cul, et elle reviendrait à sa place ! Intervint un autre type déjà éméché.

-- On risque de l’envoyer au fond de la galaxie !

-- Il faut bien doser pour la remettre de travers, c’est tout.

-- Un fausse manœuvre et on hérite d’une période de glaciation.

-- Ça vous plait ce temps monotone, le ciel sans contraste ?

--  Au moins on reste en vie.

-- On n’a pas la sensation de vieillir…

-- C’est vrai ça, la mort devrait être remboursée par la sécu !

La matrone apparut et tout sourire présenta à l’assemblée le repas du réveillon : des poulets froids, disant qu’on ne pouvait risquer d’alerter la police en faisant du feu.

-- Quelle ripaille ! s’écria un déçu.

-- Vous voulez finir au poste, la gueule assommée par des somnifères ? répondit madame Mute qui tendait la note.

Par diversion le protégé de Madame Mute, un proxo à la retraite, proposa un toast en regardant ostensiblement sa montre :

-- C’est l’heure, bonne année !

Personne ne contesta cette opportunité. Mais cela tombait à plat, personne n’eut envie de s’embrasser, certains même esquivèrent un pas pour s’enfuir, dans un silence péteux. Mais quelqu’un cria dehors, égaré, à moitié noyé dans la décharge, qu’ils allèrent secourir.

© Jacques Mondoloni - janvier 2017

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