Mes chers amis
Chaque année, au moment des vœux, je vous envoie une petite nouvelle qui a un rapport avec l’événement : en fait c’est toujours pour vous rappeler mon existence, une bouteille à la mer.
Aujourd’hui, c’est différent : je suis sorti de l’hosto hier, service neuro- chirurgie de la fondation Rothschild des Buttes Chaumont où un grand professeur m’a glissé une valve dans le cerveau (remède contre l’hydro céphalée et dite à pression normale, les Freaks, c’est à une autre pression )
L’atmosphère d’un hôpital est connue : romanciers et cinéastes à travers des récits divers nous ont fait vivre cet univers.
Moi, j’aimerais vous parler des hallucinations qui m’ont terrorisé après l’opération : un couple se trouvait dans le lit d’à côté, un homme et une femme confondus dans le tissu des draps. « Bon, ils dorment », me suis-je dit. Mais soudain le décor a changé : la femme s’est redressée et me regardait, la tête pleine de sang, empalée sur le tube des perfusions et qui la traversait de haut en bas. Son visage coloré, rouge vert bleu comme les codes des cathéters, ressemblait à un masque asiatique, genre fête du Dragon, et exprimait la menace sarcastique.
L’homme lui aussi a croisé mon regard : son visage blême, transparent, était celui des zombies des films d’horreur.
Pour les faire disparaître, j’ai louché, j’ai balayé le décor des yeux en arpentant la chambre, cela a marché, mais les hallu ont continué : les gonds de la porte de la salle de bains ont joué à l’ascenseur, montant et descendant parfois à toute vitesse. Par la fenêtre, j’ai aperçu un homme qui m’espionnait, les mains jointes sur une cheminée. Lui, j’ai essayé d’organiser sa chute, mais il avait le pouvoir de voler et il est parti vers l’immeuble voisin, de l’autre côté de la rue. Sur les murs de ma chambre, des drôles de bestioles se coursaient.
Ça c’est la partie visuelle. Il y a une partie auditive : j’ai entendu quelqu’un qui lisait les textos de mon portable, et qui s’en moquait. La voix provenait de la chambre d’en face. J’ai frappé à la porte et suis entré. Deux types, au crâne rasé, genre les marins voyous de Breaking the waves, allongés l’un à côté l’autre, m’observaient, l’air narquois. J’ai râlé au nom du respect de la vie privée, aucune réaction, puis l’un des types m’a raccompagné jusqu’à la porte, me refilant mon téléphone portable, avec un geste qui signifiait : « dégage ! »
La scène était-elle réelle ?
… comme cette info provenant de l’infirmier de nuit qui m’a raconté que par manque de places dans les prisons françaises, on mettait des détenus dans les chambres de l’hôpital.
Tout le monde explique que ces hallu sont dues à l’anesthésie - peut être mais elles troublent, c’est quoi ces horreurs stockées quelque part dans mon cerveau ?
Vive la vie !
Jacques Mondoloni - 6 mars 2014