A propos du dépeçage criminel
Appâts de guéant par Michel Moretti

Butor, Greene, Ferranti et quelques sacs de nœuds dans ma tête par Ugo Pandolfi

UgoPandolfi DR GP3La cohérence, cette gentille absence de contradiction dans l'enchaînement des parties du tout, n’est certainement pas ce qui  caractérise les lignes qui suivent. Pire, elles ne sont que la tentative désordonnée de mettre en évidence et en ligne quelques éléments ou objets déclencheurs de mon écriture. La liste de ces éléments hétéroclites est démesurée. Les plus récents qui agissent ici, sont les suivants :

  • la lecture et la relecture du livre de François Bon, Après le livre ;
  • l’écrivaine Marie Ferranti, sur le réseau Facebook, déplore que l'on ait enlevé les tamaris qui jalonnaient la promenade, à l'entrée nord de Saint-Florent ;
  • la découverte que ma meilleure amie sur le réseau Facebook, Severa Maiusta, est au fond, pour moi, une sorte d’Heliodore de Sicile moderne ;
  • la surprise, feinte, de lire dans un roman policier dont je suis l’auteur, la description d’un objet en plomb en forme de morue qui ressemble comme deux gouttes d’eau au poisson de plomb qui est sur ma table de travail ;
  • l’irrésistible envie de partager la photographie de ce poisson de plomb sur le mur de Marie Ferranti ;
  • la confirmation avec  Le Petit Caporal, le blog Saint Florent & some other things et la page Saint Florent Back in the U.S.S.R que mon vieux copain de fac, le restaurateur Lucien Benvenuti,  est toujours un hyperactif plein d’humour et que l’écrivaine Marie Ferranti n’échappe pas aux mutations de l’écrit ;
  • En 1893, l’année où mon arrière grand-oncle découvre à la fois que le détective Sherlock Holmes est un personnage historique et que son personnage romanesque n’est qu’une invention collective impliquant  Emile Zola, Guy de Maupassant, Alexandre Lacassagne, Emile Durkheim, Alphonse Bertillon et Cesare Lombroso afin de lutter contre le crime  organisé, le peintre Edvard Munch réalise sur un carton Le Cri.
  • L’œil moderne, l’exposition présentée au Centre Georges Pompidou sur Edvard Munch, permet de découvrir les expérimentations visuelles que Munch réalisa avec un appareil photographique dès les premières années du vingtième siècle et avec une caméra à partir des années 30. Tous les blogueurs et les utilisateurs de web ou live cam devraient aller visiter Edvard Munch et ses autoportraits de toute urgence.
  • Stop ! Aujourd’hui j’arrête : il y a deux infirmiers habillés en blanc qui insistent pour me conduire dans un endroit paisible où -selon eux- je serai bien traité. J’hésite à les suivre. Je ne sais même pas si l’établissement pour lequel ils travaillent est équipé Wifi.
  • Un dernier pour la route : Marie Ferranti n’est pas la seule à avoir, comme elle dit, des obsessions minuscules. Moi, en ce moment, ce sont les vaches et les taureaux que le maire  de Brando laisse divaguer sur le territoire de  la commune.

L’écriture est un ridoir. A la différence des machineries à crémaillère ou à vis permettant de tendre un cordage, l’appareillage qui se met en œuvre dans l’écrire a cette complexe et subtile capacité de faire vibrer et de tendre toutes les cordes, toutes les fibres, toutes les chaînes de celui qui, se ridant en passant à l’acte, devient scripteur. Que le résultat de ces tensions retiennent ou méritent attention  est une toute autre histoire. Seul le ridement compte ici : le ridement et ses  étranges déclencheurs.

Plomb de peche en forme de morue DRugo pandolfi
Michel Butor, Graham Greene et Marie Ferranti, dans cet ordre, sont les seuls grands  écrivains avec lesquels j’ai eu la chance de partager de rares petits moments d’intimité. Au début des années 80, avec Michel Butor : grâce à des amis communs dont l’universitaire Michel Launay et le plasticien Henri Maccheroni, j’avais pu le solliciter pour l’une de ces pages culturelles que la presse communiste avait la bonne habitude d’offrir à ses lecteurs. Avec le recul du temps, je crois que c’était une époque où les rubriques culturelles étaient d’autant plus ouvertes que les rubriques politiques étaient redevenues étroites et sectaires.

 Entre Port Hardy et Prince Rupert le traversier Reine du Nord emprunte le passage intérieur Au milieu de la nuit, il éclaire de ses phares les quais du nouveau Bella Bella, connu sur toute la côte nord-ouest par son orchestre de rock-and-roll dont les accents troublent les ours dans leurs ravines.

 Michel Butor m’avait autorisé à mettre en page La danse des monstres marins (souvenir de Bella Bella). Il s’agit d’une des cinq nouvelles qui furent éditées en 1982 avec des illustrations du poète et collagiste   Jiří Kolář sous le titre Fenêtres sur le passage intérieur. Pour cette occasion, son ami le photographe André Villers m’offrit un portrait de Michel Butor qui depuis ne m’a jamais quitté.

En 1985 encore, lorsque Michel Butor  dans une lettre publique signifie au ministre de la culture d’alors et à la Direction de la délégation aux arts plastiques : Je désire que mon nom ne soit plus mêlé en aucune manière aux activités de la villa Arson (Centre National d’Art Contemporain). Au milieu de la belle édition en trois encres (rouge, noire et bleue) de Boomerang, je conserve toujours précieusement le tiré à part de l’entretien que Michel Butor publia en juin 1986 dans la Correspondance Littéraire. Dans une vieille boite de papier photographique Ilford, avec plus d’un quart de siècle, les photocopies des douze feuillets de La danse des monstres marins et celle de la lettre manuscrite adressée à Jack Lang sont toujours parfaitement lisibles.

Et le roi du centre de la mer écoute toujours le chant des humains allumant leurs feux.

Dans les années 80 aussi, mes deux rendez-vous avec Graham Greene me transformèrent en voleur fétichiste. J’ai tout avoué dans une tentative de nouvelle : Le poivrier de Graham.  L’objet volé, un petit moulin à poivre de marque Peugeot, est toujours avec moi. Il fait partie de ses objets de mon environnement sans lesquels essayer d’écrire me serait impossible.

Objets en ma possession, possédés donc, qui deviennent magiques.  Comme le portrait de Michel Butor dont la poche ventrale de son habituelle salopette déborde de stylos, le poivrier de Graham Greene m’interpelle chaque fois que je le vois : Comment écrire ? Ecrire quoi ? Pourquoi ? Et faut-il être déloyal pour être écrivain ? Quelle prétention !  Seul le mot que Michel Butor m'a permis de comprendre, scripteur, me rassure. C'est un mot qui constate, sans rien prétendre même s'il présuppose  une certaine constance. Scripteur ne m'effraie pas. Scripteur est le mot que j'adopte pour l'adresse racine de mon premier blog qui livre au public mon premier roman. A cette racine, en référence à la conversation-essai sur la nature morte de Michel Butor (Viator) avec ses amis Michel Launay (Scriptor) et Henri Maccheroni (Pictor), je rajoute le mot scriptor pour établir l’URL de la page où j’ose me présenter en ligne et annoncer, ur et hors bit, que je travaille à un troisième roman policier.

Démarche magique ?  Superstition ? Délire total ? Ma grand-mère paternelle, native de Perugia, près d’Assise, en Ombrie, m’a souvent placé une assiette sur la tête avec de l’eau et de l’huile. Que celui qui n’a jamais croisé ses doigts en espérant que ça marche, me jette  la première pierre et une poignée de sel par-dessus l’épaule.

Pictor

Faire de la peinture, ou de la littérature, ce serait donc bien apprendre à mourir, trouver le moyen de ne pas mourir dans la sottise de cette mort que les autres avaient en réserve pour nous et qui ne nous convient nullement, mais donc de réaliser, d’organiser  notre propre mort, cette attente de sa venue, faire de sa vie une mort… (Vanité, Balland, 1980)

Avec Marie Ferranti, la rencontre est à la fois plus banale et beaucoup plus complexe.  Sur la plage en fin de saison, à l’ouest de l’île, en famille. Les tamaris doivent s’en souvenir. Impossible de dire l’année. Seule certitude : avant la parution du roman Les femmes de San Stefano (1995). Ce qui est pour moi inexprimable à propos de Marie Ferranti, c’est ce sentiment d’avoir envers  elle une sorte de dette, une exigence, dont l’acquittement est chimérique.  Imaginaire en effet mon impression d’avoir choisi à la fin des années 80 de m’installer dans son île pour ne plus jamais être éloigné de la plage de l’Ostriconi, comme une anticipation de La Fuite aux Agriates, roman que Marie Ferranti livre en 2000. Cela n’a pas de sens. Ce non-sens ne trotte pas moins dans ma tête.

Est-ce grave, docteur ? Faut rien exagérer : ce n’est que mon personnage, Antoine Desanti, qui, lors d’une halte à Saint Florent, va se faire repérer par le porte-flingue du clan Sanviti. J’y peux rien, moi, si ce jour-là Desanti a décidé d’amener sa chienne promener à l’Ostriconi. Qu’est-ce que j’en sais, moi, qu’il pouvait y avoir un tueur en cavale caché dans un camping-car sur la West coast ? Je ne fréquente pas les bars la nuit et je n’ai jamais de ma vie joué au Loto. Seule certitude, Marie Ferranti fait partie de ces écrivains que je ne peux pas lire impunément, en ce sens où les dommages collatéraux auxquels ses écritures m’exposent n’ont jamais fini de me travailler. Et je ne sais dire, ni comment, ni pourquoi.

Rabelais, Balzac, Baudelaire, Proust, Kafka…Sur la liste de François Bon de ces œuvres décisives, empreintes des transitions de l’écrit, Butor, Greene, Ferranti s’imposent pour moi.

Dans les bars déserts, une rangée de verres jaunes sur le comptoir, des télévisions allumées, les habitués mutiques et de temps en temps le grincement d'un rire aigre, un mot prononcé trop fort. Des regards qui se détournent à votre arrivée : les fantômes ont peur des vivants, camarades. Cette tristesse avait besoin d'être éclairée d'un espoir stupide : j'ai joué au Loto!

Je viens de voler ce texte dans la page Facebook de Marie Ferranti, sans son accord. Maintenant qu’elle partage avec ses amis en réseaux ses carnets privés, je sais que ma dette envers elle va encore grossir. Quel bonheur. Voilà, tout est (mal) dit. Ultime espérance : pourvu que Marie Ferranti, jugeant hystérique mon déballage, ne me supprime pas  de sa liste d’amis. Je croise les doigts.

Commentaires

Lucien Benvenuti

Non seulement tu n'es pas supprimé de la liste d'amis de Marie Ferranti, mais d'après ce que je sais, tu y es en bonne place! Quant à moi, nos souvenirs communs de temps anciens sont le gage d'une longue amitié. Quel plaisir de re-trouver sur ton site Jocelyn Normand, qui non seulement à soutenu Marie Ferranti, mais ton serviteur également, au début des années 90, lorsqu'il "butinait" en politique. Je vous embrasse tous les deux.

jocelyne normand

Bonsoir Ugo, Dis-donc, on ne sait pas pourquoi quand quelqu'un dit des choses ça résonne exactement. Butor d'abord. Moi, le "Nouveau Roman", j'ai été très très intéressée à uné époque lointaine (bien avant mes 30 ans, c'est dire). Sauf, que je ne savais que les communistes s'y intéressaient aussi à ce moment-là, même si, paradoxalement, moi, j'ai toujours bien aimé les communistes. Et de une. Donc, "La modification" forcément et pas seulement. Son "Faire de la littérature, ce serait donc bien apprendre à mourir...", je ne connaissais pas. C'est exactement ce que je recherche aujourd'hui (question d'âge, héls, forcément). Graham Greene, oui, je l'ai lu. Pour moi, c'est du sacré bon polar et une petite musique lancinante. Qunt à Marie ferranti, je crois pouvoir dire, sans me vanter, que j'ai été l'une des premières à lui faire un article - dans "Corse-Matin" - sur son premier roman "Les femmes de San Stefano", paru chez Gallimard en 1995 (j'ai gardé l'article forcément et je peux le prouver mais pas ce soir, trop à fouiller dans les papiers qui s'entassent). Depuis, j'ai tout lu d'elle. Elle a raison pour les tamaris. Je viens de passer tout le mois de novembre à planter, ici, alors qu'il y a déjà pas mal de très beaux arbres. Et, mince, à Brando désormais les taureaux divaguent? Je me souviens d'une rencontre, alors que je randonnais sur le Monte Stello, avec ma fille et notre chien. Nous avons été surpris par un véritable tremblement de terre lorsqu'un bovin de belle taille s'est extirpé d'un buisson d'aulnes où il se reposait visiblement. Nous en avons déduit que c'était un boeuf. mais, c'était peut être un taureau. En tout cas, il ne nous pas attaqués, ayant eu aussi peur que nous à mon avis. Donc, Ugo, ce n'est pas grave. Ne te laisse pas embarquer par les hommes en blanc. Reste bien sur ton balcon, face à la Tyrrhénienne et l'archipel toscan.

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