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novembre 2011

Butor, Greene, Ferranti et quelques sacs de nœuds dans ma tête par Ugo Pandolfi

UgoPandolfi DR GP3La cohérence, cette gentille absence de contradiction dans l'enchaînement des parties du tout, n’est certainement pas ce qui  caractérise les lignes qui suivent. Pire, elles ne sont que la tentative désordonnée de mettre en évidence et en ligne quelques éléments ou objets déclencheurs de mon écriture. La liste de ces éléments hétéroclites est démesurée. Les plus récents qui agissent ici, sont les suivants :

  • la lecture et la relecture du livre de François Bon, Après le livre ;
  • l’écrivaine Marie Ferranti, sur le réseau Facebook, déplore que l'on ait enlevé les tamaris qui jalonnaient la promenade, à l'entrée nord de Saint-Florent ;
  • la découverte que ma meilleure amie sur le réseau Facebook, Severa Maiusta, est au fond, pour moi, une sorte d’Heliodore de Sicile moderne ;
  • la surprise, feinte, de lire dans un roman policier dont je suis l’auteur, la description d’un objet en plomb en forme de morue qui ressemble comme deux gouttes d’eau au poisson de plomb qui est sur ma table de travail ;
  • l’irrésistible envie de partager la photographie de ce poisson de plomb sur le mur de Marie Ferranti ;
  • la confirmation avec  Le Petit Caporal, le blog Saint Florent & some other things et la page Saint Florent Back in the U.S.S.R que mon vieux copain de fac, le restaurateur Lucien Benvenuti,  est toujours un hyperactif plein d’humour et que l’écrivaine Marie Ferranti n’échappe pas aux mutations de l’écrit ;
  • En 1893, l’année où mon arrière grand-oncle découvre à la fois que le détective Sherlock Holmes est un personnage historique et que son personnage romanesque n’est qu’une invention collective impliquant  Emile Zola, Guy de Maupassant, Alexandre Lacassagne, Emile Durkheim, Alphonse Bertillon et Cesare Lombroso afin de lutter contre le crime  organisé, le peintre Edvard Munch réalise sur un carton Le Cri.
  • L’œil moderne, l’exposition présentée au Centre Georges Pompidou sur Edvard Munch, permet de découvrir les expérimentations visuelles que Munch réalisa avec un appareil photographique dès les premières années du vingtième siècle et avec une caméra à partir des années 30. Tous les blogueurs et les utilisateurs de web ou live cam devraient aller visiter Edvard Munch et ses autoportraits de toute urgence.
  • Stop ! Aujourd’hui j’arrête : il y a deux infirmiers habillés en blanc qui insistent pour me conduire dans un endroit paisible où -selon eux- je serai bien traité. J’hésite à les suivre. Je ne sais même pas si l’établissement pour lequel ils travaillent est équipé Wifi.
  • Un dernier pour la route : Marie Ferranti n’est pas la seule à avoir, comme elle dit, des obsessions minuscules. Moi, en ce moment, ce sont les vaches et les taureaux que le maire  de Brando laisse divaguer sur le territoire de  la commune.

L’écriture est un ridoir. A la différence des machineries à crémaillère ou à vis permettant de tendre un cordage, l’appareillage qui se met en œuvre dans l’écrire a cette complexe et subtile capacité de faire vibrer et de tendre toutes les cordes, toutes les fibres, toutes les chaînes de celui qui, se ridant en passant à l’acte, devient scripteur. Que le résultat de ces tensions retiennent ou méritent attention  est une toute autre histoire. Seul le ridement compte ici : le ridement et ses  étranges déclencheurs.

Plomb de peche en forme de morue DRugo pandolfi
Michel Butor, Graham Greene et Marie Ferranti, dans cet ordre, sont les seuls grands  écrivains avec lesquels j’ai eu la chance de partager de rares petits moments d’intimité. Au début des années 80, avec Michel Butor : grâce à des amis communs dont l’universitaire Michel Launay et le plasticien Henri Maccheroni, j’avais pu le solliciter pour l’une de ces pages culturelles que la presse communiste avait la bonne habitude d’offrir à ses lecteurs. Avec le recul du temps, je crois que c’était une époque où les rubriques culturelles étaient d’autant plus ouvertes que les rubriques politiques étaient redevenues étroites et sectaires.

 Entre Port Hardy et Prince Rupert le traversier Reine du Nord emprunte le passage intérieur Au milieu de la nuit, il éclaire de ses phares les quais du nouveau Bella Bella, connu sur toute la côte nord-ouest par son orchestre de rock-and-roll dont les accents troublent les ours dans leurs ravines.

 Michel Butor m’avait autorisé à mettre en page La danse des monstres marins (souvenir de Bella Bella). Il s’agit d’une des cinq nouvelles qui furent éditées en 1982 avec des illustrations du poète et collagiste   Jiří Kolář sous le titre Fenêtres sur le passage intérieur. Pour cette occasion, son ami le photographe André Villers m’offrit un portrait de Michel Butor qui depuis ne m’a jamais quitté.

En 1985 encore, lorsque Michel Butor  dans une lettre publique signifie au ministre de la culture d’alors et à la Direction de la délégation aux arts plastiques : Je désire que mon nom ne soit plus mêlé en aucune manière aux activités de la villa Arson (Centre National d’Art Contemporain). Au milieu de la belle édition en trois encres (rouge, noire et bleue) de Boomerang, je conserve toujours précieusement le tiré à part de l’entretien que Michel Butor publia en juin 1986 dans la Correspondance Littéraire. Dans une vieille boite de papier photographique Ilford, avec plus d’un quart de siècle, les photocopies des douze feuillets de La danse des monstres marins et celle de la lettre manuscrite adressée à Jack Lang sont toujours parfaitement lisibles.

Et le roi du centre de la mer écoute toujours le chant des humains allumant leurs feux.

Dans les années 80 aussi, mes deux rendez-vous avec Graham Greene me transformèrent en voleur fétichiste. J’ai tout avoué dans une tentative de nouvelle : Le poivrier de Graham.  L’objet volé, un petit moulin à poivre de marque Peugeot, est toujours avec moi. Il fait partie de ses objets de mon environnement sans lesquels essayer d’écrire me serait impossible.

Objets en ma possession, possédés donc, qui deviennent magiques.  Comme le portrait de Michel Butor dont la poche ventrale de son habituelle salopette déborde de stylos, le poivrier de Graham Greene m’interpelle chaque fois que je le vois : Comment écrire ? Ecrire quoi ? Pourquoi ? Et faut-il être déloyal pour être écrivain ? Quelle prétention !  Seul le mot que Michel Butor m'a permis de comprendre, scripteur, me rassure. C'est un mot qui constate, sans rien prétendre même s'il présuppose  une certaine constance. Scripteur ne m'effraie pas. Scripteur est le mot que j'adopte pour l'adresse racine de mon premier blog qui livre au public mon premier roman. A cette racine, en référence à la conversation-essai sur la nature morte de Michel Butor (Viator) avec ses amis Michel Launay (Scriptor) et Henri Maccheroni (Pictor), je rajoute le mot scriptor pour établir l’URL de la page où j’ose me présenter en ligne et annoncer, ur et hors bit, que je travaille à un troisième roman policier.

Démarche magique ?  Superstition ? Délire total ? Ma grand-mère paternelle, native de Perugia, près d’Assise, en Ombrie, m’a souvent placé une assiette sur la tête avec de l’eau et de l’huile. Que celui qui n’a jamais croisé ses doigts en espérant que ça marche, me jette  la première pierre et une poignée de sel par-dessus l’épaule.

Pictor

Faire de la peinture, ou de la littérature, ce serait donc bien apprendre à mourir, trouver le moyen de ne pas mourir dans la sottise de cette mort que les autres avaient en réserve pour nous et qui ne nous convient nullement, mais donc de réaliser, d’organiser  notre propre mort, cette attente de sa venue, faire de sa vie une mort… (Vanité, Balland, 1980)

Avec Marie Ferranti, la rencontre est à la fois plus banale et beaucoup plus complexe.  Sur la plage en fin de saison, à l’ouest de l’île, en famille. Les tamaris doivent s’en souvenir. Impossible de dire l’année. Seule certitude : avant la parution du roman Les femmes de San Stefano (1995). Ce qui est pour moi inexprimable à propos de Marie Ferranti, c’est ce sentiment d’avoir envers  elle une sorte de dette, une exigence, dont l’acquittement est chimérique.  Imaginaire en effet mon impression d’avoir choisi à la fin des années 80 de m’installer dans son île pour ne plus jamais être éloigné de la plage de l’Ostriconi, comme une anticipation de La Fuite aux Agriates, roman que Marie Ferranti livre en 2000. Cela n’a pas de sens. Ce non-sens ne trotte pas moins dans ma tête.

Est-ce grave, docteur ? Faut rien exagérer : ce n’est que mon personnage, Antoine Desanti, qui, lors d’une halte à Saint Florent, va se faire repérer par le porte-flingue du clan Sanviti. J’y peux rien, moi, si ce jour-là Desanti a décidé d’amener sa chienne promener à l’Ostriconi. Qu’est-ce que j’en sais, moi, qu’il pouvait y avoir un tueur en cavale caché dans un camping-car sur la West coast ? Je ne fréquente pas les bars la nuit et je n’ai jamais de ma vie joué au Loto. Seule certitude, Marie Ferranti fait partie de ces écrivains que je ne peux pas lire impunément, en ce sens où les dommages collatéraux auxquels ses écritures m’exposent n’ont jamais fini de me travailler. Et je ne sais dire, ni comment, ni pourquoi.

Rabelais, Balzac, Baudelaire, Proust, Kafka…Sur la liste de François Bon de ces œuvres décisives, empreintes des transitions de l’écrit, Butor, Greene, Ferranti s’imposent pour moi.

Dans les bars déserts, une rangée de verres jaunes sur le comptoir, des télévisions allumées, les habitués mutiques et de temps en temps le grincement d'un rire aigre, un mot prononcé trop fort. Des regards qui se détournent à votre arrivée : les fantômes ont peur des vivants, camarades. Cette tristesse avait besoin d'être éclairée d'un espoir stupide : j'ai joué au Loto!

Je viens de voler ce texte dans la page Facebook de Marie Ferranti, sans son accord. Maintenant qu’elle partage avec ses amis en réseaux ses carnets privés, je sais que ma dette envers elle va encore grossir. Quel bonheur. Voilà, tout est (mal) dit. Ultime espérance : pourvu que Marie Ferranti, jugeant hystérique mon déballage, ne me supprime pas  de sa liste d’amis. Je croise les doigts.


A propos du dépeçage criminel

A notre époque, le dépeçage criminel s'applique aux opérations qui consistent à couper le corps humain en un nombre indéterminé de fragments. Parfois la tête, les membres, le tronc sont séparés, dans d'autres cas ils sont eux-même réduits en morceaux, mais toujours l'opération a eu pour but de se débarasser du corps de la victime et de rendre plus difficile la constatation de son identité. Cette façon d'opérer et de faire des assassins est devenue à la mode...

Alexandre Lacassagne et ses amis criminologues vu par Jean-Pierre Cagnat DRC'est ce qu'écrit le professeur Alexandre Lacassagne en 1888 (Du dépeçage criminel, Archives d'anthropologie criminelle, 1888, tome III, p.227-255)

Concernant l'explication de cette "mode", Alexandre Lacassagne croit "putôt à l'imitation": La diffusion de la presse, transmettant de tous cotés, avec une précision et une minutie sans pareilles les romans judiciaires, les faits ou les paroles des grands criminels, expose ainsi aux esprits faibles et indécis, hésitants, à la recherche de moyens pour perpétrer un crime, la méthode qui a le mieux réussi, le procédé qui a crée les plus grandes difficultés à l'action de la justice. ( idem )

L'intégralité des Archives de l'Anthropologie Criminelle est accéssible en ligne à partir du remarquable  portail francophone Criminocorpus sur l'histoire de la Justice, des crimes et des peines.


Scontri di u Libru à la Bibliothéque centrale de Bastia

BMBastia DRA Bastia en Haute Corse le 1 er décembre, la bibliothèque du patrimoine Tommaso Prelà et le réseau des bibliothèques de lecture publique, en partenariat avec l'association des éditeurs de Corse organisent une journée autour du livre et de l'édition avec la pariticipation de nombreux auteurs invités par cinq librairies de la ville. Un riche programme d'interventions est prévu de 11 à 18 heures avec en particulier, à 16 heures,  les lectures du chanteur Antoine Ciosi sur des textes et poèmes de l'écrivain  Marie-Jean Vinciguerra.

A noter également parmi les auteurs invités par la librairie Papi à cette occasion la présence de Ugo Pandolfi qui dédicace son nouveau roman policier Du texte clos à la menace infinie, dernier opus de la collection Nera des éditions Albiana.


un MOX d'emmerdes par Michel Moretti

Michel_moretti DREn février 2011, le réacteur n°3 de fuk'ushima inaugurait son fonctionnement au MOX : noyé le 11 mars ! Depuis ça fusionne et irradie en silence.

Durée de vie du plutonium : 300.000 ans. Une paille. Les assurances ne s'y trompent pas qui refusent d'indemniser les conséquences d'un accident nucléaire. Passant, relis ta police. En attendant pas de véritable débat sur le nucléaire sauf au détour d'un accord électoral péripathétique. Sommaire.

Sinon en ces temps de commémoration, aucune indignation à la vue de foutriquet accompagné de gamins orphelins de soldats tués en Afghanistan pour ranimer la flamme. La nausée.

Et la crise rampe. On nous fait le coup de l'Europe ruinée, du AAA, on nous fout la trouille, on anesthésie le populo, on nous laisse le choix : la banqueroute, la ceinture ou l'inflation. On nomme les vétérans de goldmann-sachs à la manoeuvre. On poursuit le démantèlement du Code du Travail, on négociera la durée du travail par entreprise, par branche... hein copé ? Et l'actualité s'alimente du meurtre atroce, le ministre de l'intérieur définit sa justice sur tf1, celui de la justice patauge sur a2. Il est lundi 20 heures, il fait triste et con. Il manquerait plus que morin se présente...

7% de plutonium pour 93% d'uranium appauvri. Le MOX est à l'image du pays : 7% de nuisibles pour 93% d'appauvris.

ndlr : un petit hommage tendre à Danièle Mitterrand. Elle était venue à Calvi défendre le sous-commandant marcos, on avait tenté de lui faire comprendre nos réserves démocratiques sur les cagoulés du Chiapas, notamment sur le fait que porter des cagoules de laine sous climat très tropical était inutile et malsain... je l'estimais.


Antoine Fornelli: un homme-lieux sur la scène de l'autre par Ugo Pandolfi

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Antoine Fornelli (Lyon 1919 - Nouméa 1999) est un personnage digne des romans de Joseph Conrad. Son rôle, au milieu des années 70, dans l’une des résistances autochtones du Pacifique a retenu l’attention de deux anthropologues : Jean Guiart et Joël Bonnemaison. Sur l’île de Tanna (la Terre), de nos jours encore, la mémoire de Tony Fornelli est restée vivante, en particulier dans le nord et le Centre Nord de l’île. Confiées par l’un de ses frères man blong Tanna aux poussières des pentes du Yasur, ses cendres vivent depuis l’an 2000 au rythme d’un volcan actif qui a la réputation d’être le plus accessible au monde.

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Artilleur, Antoine Fornelli, après avoir vécu à Dunkerque la tragédie de la campagne de France de mai-juin 1940, est un soldat qui entre en résistance à 21 ans dans les maquis du Lyonnais, en Chartreuse et dans l’Ain. Combattant ensuite en Indochine, Fornelli est un anti-gaulliste et un anti-communiste convaincu à la fin de la guerre d’Algérie. C’est en lisant une petite annonce dans le Chasseur Français que Tony, devenu armurier, marié et père de quatre enfants, décide en 1965-66 d’acheter une plantation aux Nouvelles-Hébrides. Il vend son armurerie de la place du Change à Lyon et ses collections d’armes anciennes et découvre en 1967 le Condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides, « territoire d’influence commune » où depuis 1906 coexistent deux pouvoirs coloniaux sans souveraineté exclusive et où Français et Britanniques, catholiques et presbytériens, sont en permanente rivalité.


Tony, voix d’une pirogue nommée Tanna

Un fusil allemand Mauser datant de la Première Guerre mondiale, modèle 1884, fabriqué en 1916, et un drapeau avec une étoile à cinq branches. Un blanc, un Corse, âgé de 55 ans, les offre a deux chefs coutumiers de Tanna. Nous sommes le 24 mars 1974, dans le Centre Nord de l’île. Antoine Fornelli hisse le drapeau de la Nation de Tanna (fond bleu, cercle jaune, étoile verte à cinq branches pour le nord, le sud, l’est, l’ouest et le centre de l’île). Ce Corse au service de la Coutume vient de proclamer la naissance officielle du mouvement Forcona ( Four Corner, les quatre coins) avec le soutien de Tom Mweles, pape des John Frum d’Ipeukel et responsable du côté Est et le chef Sasen, responsable coutumier du côté Nord. Ce drapeau - déclare Tony Fornelli- est celui de l’union, de la paix et de la Coutume.
Dans son ouvrage La dernière île, l’anthropologue Joël Bonnemaison rapporte: Le don de ce fusil symbolisait la force armée gardant le drapeau. Rendez-vous fut pris pour une fête encore plus essentielle le 22 juin à Imafin. Tony devait y être publiquement intronisé « chef » et porte-parole –c'est-à-dire yani niko – de la Nation coutumière de Tanna. Ensuite on proclamerait « officiellement » l’indépendance.
Dans le Condominium franco-britannique des Nouvelles-Hébrides l’affaire inquiète les groupes chrétiens. Les presbytériens menacent de faire respecter l’ordre en levant des milices. A Port-Vila la proclamation de la Nation de Tanna fait des vagues. A Tanna la fête prévue pour introniser la voix de la pirogue, le yani niko, n’eut jamais lieu : le 18 juin 1974 un commando franco-britannique s’empare du vieux fusil et du drapeau et brutalise Sasen, le chef du village d’Imafin. Le 23 juin, au nom de la jeune Nation de Tanna, Antoine Fornelli adresse une lettre ultimatum à la Reine d’Angleterre et au président de la République française. C’est une sommation : elle donne huit jours aux deux grandes puissances pour restituer les deux emblèmes, propriété de la Nation coutumière de Tanna et quitter l’île. Quelle que soit l’issue de ce conflit - écrit en conclusion Fornelli- et pour qu’une jeune Nation pour affirmer son droit de vivre conformément à ses lois, issues de ses coutumes ancestrales et son désir de prendre à la civilisation qu’on veut lui imposer que ce qu’elle juge lui être favorable, il faille que les grandes Nations lui inflige un bain de sang, cela sera. De toutes façons, la gloire ne rejaillira pas sur leur pavillon.
Pour Joël Bonnemaison, le but d’Antoine Fornelli était en fait de provoquer la venue d’une commission d’enquête sur l’île, de plaider la cause de son mouvement et d’attirer l’attention internationale sur l’île. Le fait que durant cette période Fornelli ait informé la gendarmerie française de Port-Vila confirme, sinon que « Tony » était discrètement soutenu par les « services » français, au moins qu’il n’envisageait pas de combat hors de la légalité. Le texte que Fornelli ajoute dans la lettre ultimatum adressée au président Giscard d’Estaing ne laisse aucun doute sur ses choix dans le duel franco-britannique qui n’en finit pas d’agiter le Condominium : Je ne me sens responsable de mes actes que devant le peuple français dont je suis issu et mon seul souci est le maintien de la présence, au moins culturelle, de mon pays, dans ce coin perdu du Pacifique.
La réponse des autorités ne se fit pas attendre : le 29 juin, sous la conduite des deux délégués du Condominium, une troupe de quarante miliciens et policiers mélanésiens franco-britanniques accompagnée de deux gendarmes français débarque au nord de l’île. Après une marche de nuit - rapporte Joël Bonnemaison- la colonne prit le village d’Imafin à revers. Sasen et les gardes personnels du « rebelle », surpris à l’aube, furent arrêtés tandis que Fornelli, après avoir « amusé » quelque temps ses poursuivants, se laissa prendre. Il n’était pas armé, aucun coup de feu ne fut tiré et la résistance des flèches et des sagaies était restée symbolique. Les leaders du « Forcona » se retrouvèrent en prison à Isangel où ils furent jugés par le délégué français, dans le cadre de ses attributions locales. Les leaders mélanésiens du mouvement, responsables des « côtés » de l’île, reçurent des peines de prison, toutes réduites par la suite à un mois. Fornelli, condamné plus lourdement, écopa de dix-huit mois d’emprisonnement et fut envoyé à Port-Vila où on le rejugea. Sentence définitive : un an de prison ferme et cinq années d’interdiction de séjour aux Nouvelles-Hébrides. La peine fut accomplie dans la prison du Camp Est à Nouméa, où, pour Tony, les seules visites politiques furent celles de quelques dirigeants politiques du « National Party », désireux de s’expliquer avec lui. Ils lui firent savoir qu’ils ne le considéraient pas comme un ennemi, mais comme une victime du système colonial.
Six années et de violentes tensions plus tard, le 1 er janvier 1980, dans le Centre Brousse de l’île de Tanna, quand les chefs de la Coutume déclarèrent la naissance officielle de la Nation du TAFEA (regroupant les îles de Tanna, Anatom, Futuna , Erromango et Aniwa ), ils affirmèrent que cette sécession (avec le gouvernement néo-hébridais dirigé par les anglophones du parti Vanuaaku) avait l’aide « des gouvernements des pays suivants : France, Nouméa, Paris, Corse, Amérique ». Le drapeau marquant l’indépendance de la Coutume que les man blog Tanna hissèrent ce jour là comportait une étoile jaune à cinq branches sur fond vert.

Un « leader d’Indiens » à la « sortie de l’île »


Antoine fornelli en 71_72 aux hebrides Comprendre, plus d’un quart de siècle après et aux antipodes de la Mélanésie, ce que fut l’aventure d’Antoine Fornelli aux Nouvelles-Hébrides, de 1973 jusqu’à l’indépendance du Vanuatu en 1980, est impossible si l’on ne fait pas l’effort de comprendre la résistance de cette exception scandaleuse (l’expression appartient à l’anthropologue Joël Bonnemaison) qu’a pu être l’île de Tanna, la dernière île, au moment où dans le Pacifique de jeunes Etats accédaient à l’indépendance avec les seuls modèles de l’Occident. Comprendre un tel particularisme exige aussi de ne pas réduire le mythe fondateur John Frum et ses dérivés au vulgaire habillage d’une aliénation, un simple « culte du cargo ». La parousie de John Frum est plus complexe. L’essentiel dans le rêve John Frum - écrit Joël Bonnemaison- n’est pas en effet l’attente millénariste du « cargo », mais le libre choix de cette société qui produit un nouveau système d’images et de mythes pour se construire autrement.
Plus précisément encore : John Frum est un rêve de « sortie de l’île » et de réunification de l’espace qui est au coeur de leur croyance.
Ce que rencontre, sans le savoir vraiment, Antoine Fornelli quand il découvre, avec les croyances des John Frum de Tanna, la force métaphorique de la Coutume n’est-ce pas une vision ? Un rêve qui est la vision d’un monde réunifié ? L’utopie du grand espace ?
Dans le rêve de John Frum -souligne Joël Bonnemaison- le Grand Temps des origines se vit dans le Grand Espace du millénium. En cela, il s’agit bien d’une pensée d’insulaires. Les malheurs de Tanna viennent de sa rupture avec le reste du monde. Cette société du réseau souffre de ne pouvoir s’ouvrir à un réseau plus vaste et encore plus essentiel. Elle chercha à s’isoler du « pouvoir blanc », parce qu’en plus de son caractère dominateur, l’appareil colonial lui apparaissait comme un masque faisant écran avec le reste du monde.
Lors d’une brève tentative de retour à Tanna en 1977, avant d’en être expulsé à nouveau, Fornelli déclara vouloir enterrer trois choses sous l’arbre de la Coutume : La Bible, le drapeau français et le drapeau anglais.
Dans l’île où se radicalise le « grand jeu » des Anglais contre les Français et des chrétiens contre les païens et les John Frum, l’aventure d’Antoine Fornelli n’est certes qu’une péripétie. Elle n’en relève pas moins la justesse de l’affirmation du philosophe Jean-Toussaint Desanti : Sur la scène de l’Autre, chacun se déchiffre à son tour. Nul jamais, simplement, n’y demeure en soi-même.
Militaire, résistant, ensuite armurier, collectionneur d’armes avant de devenir un aventurier excentrique un peu mégalo, Tony Fornelli qui passa une grande partie de sa jeunesse à Lumio, en Balagne, sur la côte ouest de la Corse ne partagea pas sans conséquence le kava avec les païens d’une île qui s’appelle la Terre. La Coutume mélanésienne fut sans nul doute son déchiffrement le plus grand. En témoignent ces paroles - rapportées par Joël Bonnemaison - d’un vieux chef du Centre Brousse du temps du « Forcona » : On croit que nous sommes les partisans de Tony, ce n’est pas vrai, c’est lui qui est notre partisan : en venant à Tanna, il n’est pas venu pour s’élever, il est venu pour élever la Coutume.
Joël Bonnemaison le souligne : Qu’il en ait été ou non conscient, « Tony » est entré dans la légende et dans les archétypes d’une île qui aime les héros symboliques et les personnages hors du commun.
6a00e54efcba6b883400e54f561e748833-115si  Contrairement à l’image de l’aventurier corse mythique ou du « Roi blanc » que vont fabriquer quelques journalistes de presse écrite ou de télévision, Antoine Fornelli est plutôt à considérer dans le registre plus rare des « leaders d’Indiens ». C’est ainsi que le définit, par exemple, l’historien Jean-François Lecaillon qui classe Fornelli, dans sa typologie des leaders d’Indiens, dans la catégorie des protecteurs comme Maurice Leenhardt pour les Kanak ou Bartolomé de las Casas pour les Indiens.

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Aux antipodes des clichés, cette perception du personnage ne correspond pas seulement au meneur d’hommes qui ne fut pas l’homme qui voulut être roi ; elle intègre, sans le savoir, une dimension méconnue de l’imaginaire propre d’Antoine Fornelli, passionné dès son adolescence par les histoires d’Indiens des Amériques.

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Adolescent, dans son village de Lumio, Tony vécut de longues heures d’efforts et de jeux sur les pentes du Mont Bracaghju, face à la baie de Calvi. Vus du village, les rochers de granit du sommet de cette montagne ont la forme humaine d’un grand chef indien endormi. C’est ce que Tony Fornelli aimait raconter, gardant en mémoire le souvenir de sa rencontre, dans les années 30, avec le Micmac Os-Ko-Mon lors d’une tournée indianiste des Scouts de France dans le Lyonnais. Des histoires d’Amérindiens, des histoires de pierres qui ont du sens, des légendes où les mystères des granits corses parviennent à se mélanger a ceux des pétroglyphes des îles du mare nostrum de la Terra Australis Incognita. Le temps, retrouvé, d’un rêve de grand espace où hommes et lieux revivent enfin en harmonie, hors de l’histoire, des idéologies et de la politique. D’une certaine manière, Antoine Fornelli dont un vieux chef a caché les cendres au pied du volcan Yasur, n’est-il pas devenu, à l’ouest de l’Occident, l’un de ces « hommes lieux » de sa propre dernière île. Tanna, île philosophique affirme Joël Bonnemaison, où la pirogue (niko), métaphore du groupe, ouvre et libère le réseau d’une infinité de routes. Un nexus en Mélanésie dans lequel Tony Fornelli a plongé son identité durant les trente dernières années de sa vie.

© 2009- Ugo Pandolfi


Sources et bibliographie :

Jean Guiart, Le mouvement "Four Corner" à Tanna (1974), Journal de la Société des Océanistes, Vol. XXXI, 1975.
Joël Bonnemaison, Les fondements d’une identité : territoire, histoire et société dans l’archipel de Vanuatu, tome 1 : L’arbre et la Pirogue, tome 2 : Les Hommes-lieux et les Hommes-flottants, Editions de l’ORSTOM, collection Travaux et documents, Paris, 1986.
Joël Bonnemaison, La dernière île, Arléa et ORSTOM, Paris, 1986.
Joël Bonnemaison, The Tree and the Canoe: History and Ethnogeography of Tanna, Honolulu, 1994.
Jean-François Lecaillon, Les leaders d’Indiens, leaders de minorités, Ouvrage inédit, 1994-2002
Marc Tabani, Une pirogue pour le paradis. Le culte de John Frum à Tanna, Maison des sciences de l’Homme (MSH), Paris, 2008.
Ugo Pandolfi, Du Texte clos à la menace infinie, collection Nera, Editions Albiana,2011.

Iconographie:

© Boris Perrin – Les Mutins de Pangée
© Collection particulière Fond JJFM Fornelli-Dargaud-Pechard

NDLR: Le texte ci-dessus, en ligne sur ce blog depuis février 2010, est la version intégrale de l'article d'Ugo Pandolfi intitulé le yani niko de la dernière île paru dans la revue Fora (numéro 6) en janvier 2010.


Ugo Pandolfi dédicace son texte clos à Bastia le 1er décembre

UgoPandolfi DR GP3Parmi les nombreux auteurs insulaires invités par la Bibliothèque municipale de Bastia le jeudi 1er décembre, l'auteur de La Vendetta de Sherlock Holmes dédicace son nouveau roman policier: Du texte clos à la menace infinie, dernier opus de la collection Nera des éditions Albiana.

Ceux qui aiment aller au fond des choses apprécieront assure Paul Maugendre dans Mystère Jazz à propos du texte clos d'un auteur que www.corsicapolar.eu et Okuba Kentaro en personne vous recommandent vivement.


En novembre, Arte Mare dégaine ses polars

Affiche artemare2011A l'occasion du 29 eme festival du film et des cultures méditerranéennes, l'association Arte Mare dégaine son polar et lance les invitations pour le 24 novembre au Théâtre municipal de Bastia.

Maud Tabachnik est l'invitée d'honneur de l'édition 2011. En compagnie de Marie-Hélène Ferrari, auteure des aventures du commissaire Pierucci, elle participera le jeudi 24 à 18h à un appuntamentu  autour du polar ici et ailleurs, animé par Hélène Mamberti, dans le cadre du festival Arte Mare, au théâtre de Bastia. Entrée libre pour tous. En attendant, on peut dévorer Désert barbare, le tout dernier "spécial suspense" de l'auteur phare de cette collection chez Albin Michel.

Ateliers, projections, débats: Le programme détaillé du 21 au 26 novembre en PDF.


Enrico Porsia: "Je continuerai à écrire en Corse et sur la Corse"

EPorsia DRLe  journaliste d'investigation Enrico Porsia qui savoure sa récente  victoire judiciaire contre deux notoires élus UMP, l'a confirmé à l'hebdomadaire 24 Ore: Je continuerai à écrire en Corse et sur la Corse.

Les nouvelles investigations de ce journaliste indépendant sur le système Ryanair et la face caché du low cost sont présentées le 24 novembre à Paris lors des rencontres d'Options 2011 sur le transport aérien organisées par l'Union générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens-CGT.


Ateliers en liberté à Charenton: découvrez Anne Mandorla

Amandorla DRLa Maison des artistes de Charenton qui abrite 30 ateliers-logements pour  artistes, organise une à deux fois par an les portes ouvertes de la maison. De14 à 20 heures, les 26 et 27 novembre, une quinzaine d'ateliers sont ainsi en liberté. Parmi eux, celui d'Anne Mandorla, peintre et graveur, qui présente ses nouvelles peintures. A découvrir: 9 place de la coupole, 94220, Charenton-le-pont, rez-de-chaussée, deuxième atelier à droite.


Jean-Claude Loueilh nous a quittés

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L'association Operata Cultrale communique: Nous apprenons avec une immense tristesse le décès de notre ami et compagnon d’aventures, Jean-Claude Loueilh. Philosophe et écrivain, il avait apporté à l’Operata Culturale son expertise et son érudition, et plus que cela encore la chaleur de son cœur de militant culturel. Jean-Claude aimait les livres autant qu’il aimait les hommes, ne désespérant jamais de les faire se rencontrer idéalement. Sa conversation, subtile et ébouriffante, qui vous faisait voler par-dessus les concepts et tutoyer les dieux, était un ravissement ineffable. Jean-Claude nous emportait tellement loin qu’il arrivait à nous persuader de notre propre intelligence. C’était un homme qui partageait et qui créait avec la même simplicité, voire une humilité, l’humilité des très grands. Il nous a tellement apportés, que nous ne comprenons pas encore à quel point le vide se crée maintenant, et le froid de l’hiver qui vient emplit nos cœurs d’un désespoir sans remède.À sa famille, à sa fille chérie, si jeune encore, nous envoyons nos témoignages de compassion, d’assistance et de tristesse. Nous ne l’oublierons jamais.

Le corps de Jean-Claude Loueilh repose à la morgue de l'hôpital de Bastia à partir de dimanche 20 novembre 15 h. La levée du corps aura lieu lundi à 15 h.