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Écrire ou aller à la pêche ? par Denis Blémont-Cerli

Denis blemont cerli portrait

Il faut s’imaginer l’auteur se levant chaque matin avec cette obsession d’écrire. La journée sera-t-elle bonne ? Sera-t-il capable de noircir quelques pages en lançant sa ligne dans le grand marigot de la perception du monde ?

Panier À la pêche aux mots ça ne mord pas tous les jours… C’est qu’ils sont méfiants les mots, ils ne se laissent pas attraper comme de la bleusaille de l’année. Là où ils sont, ils se trouvent bien, le plus souvent ils ont derrière eux une longue carrière et n’ont que faire de l’écrivaillon avec son grossier hameçon. Quand on a connu Hugo ou Zola, on se fiche du scribouilleur de pacotille qui veut se donner une posture de compétence insincère.

Ce n’est qu’en rusant que le prétendu écrivain arrive à en attraper quelques-uns. Mais quand il croit avoir fait le plus dur, quand son panier à mots semble suffisamment garni, commence alors le plus difficile car voyez-vous les mots ne sont rien sans les phrases.

Les phrases ! Rien que des garces qui ne font jamais ce qu’on attend d’elles. Prenez deux jolis mots au hasard, deux belles prises du jour, par exemple « fantaisie » et « effondrement » et essayez de les faire cohabiter dans une phrase.

« L’effondrement de mon âme me laissa dans une fantaisie sans fin ». Rien ne va, ça suinte la mauvaise prose, on ne retrouve là qu’un salmigondis ineffable, on frise l’horrible oxymoron

Il faudrait remplacer « fantaisie » par « errance ou mélancolie » mais voilà, impossible de les attraper ces trois-là, ils se cachent dans un trou entre une anémone menaçante et une murène/malfrat qui ne pense qu’à gober tout ce qui passe. Le scribouilleur se retrouve dans l’obligation de changer sa prose avec le peu de choix qui se trouve dans son panier. « L’irrésistible de mon âme me laissa dans une mégarde sans fin », ou «  la porte de mon âme me laissa dans un incommensurable sans fin », on le constate on est en plein ridicule, c’est très mauvais et même nullissime.

Il se désole l’écrivain, rien ne va jamais comme il le veut. Lui voulait écrire le rêve, le vent, l’irréel, le souffle de l’ange dans les cimes des arbres, bref faire une ŒUVRE avec un grand E dans le O.

Aucune hésitation à avoir. Il prend sa canne à pêche et se dirige vers la rivière en maudissant la littérature et tout ceux, auteurs, éditeurs, lecteurs, qui gravitent dans ce boui-boui.

Dehors il fait beau, c’est merveilleux de ne pas être enfermé, les doigts de pieds en éventail dans l’herbe douce. Et pourvu qu’il y ait du poisson, pense-t-il tout haut sous le regard inquiet des passants… Il a choisi de taquiner la truite plutôt que la muse et il a bien raison…

* Retrouver Arlette Shleifer dans Trace, Figure, Passage ,  Michel Moretti dans Mal Chronique, Elèna Piacentini dans Elénarration, Thierry Venturini dans L'effet Venturini et Denis Blémont-Cerli dans Homo machinus sempre emmerdae

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