Roland Laurette, romancier non-fiction de l'affaire Yvan Colonna par Ugo Pandolfi
11 septembre 2009
Roland Laurette n'est pas le premier agrégé de lettres à s'emparer littérairement de l'assassinat de Claude Erignac. En 2003, Jean-Paul Brighelli, plus connu pour ses essais polémiques sur l'éducation nationale que pour son premier polar, avait publié aux éditions Ramsay un provocateur Pur porc que les éditions Balland ont ressorti en juin 2009 sous le titre Viande froide. L'affaire Erignac avait eu ainsi son premier roman noir.
Le premier procès de l'assassin présumé du préfet Claude Erignac avait sa BD depuis le didactique album du dessinateur Tignous et du journaliste Dominique Paganelli , publié en juin 2008 par les éditions 12 bis. Après le théâtre des doutes et des incidents mis en scène lors du procès en appel, ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Colonna a désormais un roman. Une fiction qui n'en est pas une que le romancier Roland Laurette a achevée avant le verdict de mars 2009, publiée dès avril 2009 aux éditions L'Harmattan.
Son titre, Le Roman de Ghjuvanni Stephagese , ne laisse pas place au doute: il s'agit d'une non fiction. Le sous-titre, en couverture, le souligne clairement : clés pour l'affaire Colonna. Son auteur, Roland Laurette, affirme, pour sa part, n'avoir plus que des certitudes sur l'innocence du berger de Cargèse que ce proche de la famille Colonna a connu adolescent à la fin des années 70. Ses certitudes fondent son écriture.
Avec un parti pris, plus idéologique que littéraire, qui la dénie en tant que telle, la victime, Claude Erignac, préfet de la République, abattu de sang froid en Corse le 6 février 1998, n'est plus que le Gouverneur de l'île imaginaire de Saveria. De là à élever l'assassinat au rang des beaux arts d'une prétendue résistance politique, il y a un pas que l'auteur de ce roman non fiction se garde bien de franchir. Son roman est un plaidoyer pour un Yvan Colonna innocent, prisonnier d'une tragédie et non la défense d'un berger coupable, pris au piège de l'histoire tragique d'une île dont la souveraineté n'existe pas. Roland Laurette dont l'ouvrage est ignoré par le site officiel du comité de soutien à Yvan Colonna se pose en romancier et non en militant. Sa seule cause concerne les libertés fondamentales.
Choisissant de surfer ainsi sur les vagues glissantes d'une actualité criminelle et judiciaire dont les imbroglios n'en finissent pas, onze ans après les faits, de diviser l'opinion autant sur l'efficacité des enquêteurs que sur l'impartialité d'une justice d'exception, l'auteur de Le roman de Ghjuvanni Stephagese assume sans complexe un rôle ambigu qui oscille entre la raison d'un Emile Zola et l'émotion d'un Truman Capote. Modeste et immodeste à la fois, Roland Laurette tente de nous convaincre que "la vérité de demain se nourrit de l'erreur d'hier". Une citation de Saint-Exupery que Claude Erignac avait inscrite dans ses carnets de note personnels.
La plus grande audace du défi de Roland Laurette est qu'il présuppose, voire exige, que ses lecteurs soient des citoyens sereins et vierges de tous préjugés. Là où justement (ce mot lui même fait débat), c'est demander l'impossible, dans un mélanges d'affaires et de procédures où la justice et la sérénité ne se sont guère fréquentées. "Il est plus facile, plus confortable pour n'importe qui de croire en la culpabilité de Stephagese que le contraire " fait dire l'auteur à l'un de ses personnage. Mais une telle évidence a-t-elle vraiment besoin de la forme narrative ?
A l'inverse de celui d'Aragon, le mentir-vrai du défenseur d'Yvan Colonna-Ghjuvanni Stephagese ne dévoile rien du réel par la fabulation. La composition fictionnelle que livre Roland Laurette repose essentiellement sur les témoignages qu'il a pu recueillir de manière privilégiée auprès des proches de Colonna-Stephagese et de celles et ceux qui ont facilité sa cavale. C'est là le plus grand intérêt et la richesse de cette non-fiction. Au chapitre 21 par exemple, les arguments de la chanteuse corse que personne n'aura de mal à reconnaître sous le nom de Rosa Ficarella, méritent attention et réflexion. Mais la grande faiblesse, voire l'effet pervers du choix romanesque non-fictionnel, est qu'il affaiblit plus qu'il ne valorise les paroles vraies sur lesquelles il se fonde. Et c'est bien là la limite paradoxale, terrible, de ce roman inachevé qui rebaptise la Corse Saveria et ne donne jamais de nom à l'homme qui fut assassiné le 6 février 1998.
NDLR: Roland Laurette qui est, pour les Alpes Maritimes, l'un des délégués départementaux du comité de soutien à Yvan Colonna, prévoit de tenir une conférence de presse à Paris pour présenter officiellement son roman. Elle devrait avoir lieu le 14 septembre au théâtre du Lucernaire. Roland Laurette est également l'auteur de Raphaëlle ou l'ordre des choses, roman paru en décembre 2006 aux éditions Mutine.
Comme l'indique notre anonyme ami Weblooker (dont l'adresse IP commence par 82.239.141....), le quotidien Nice-Matin vient de découvrir l'ouvrage de Roland Laurette et la polémique qui va avec...six mois après la sortie de ce bouquin sur lequel nous avions exprimé nos critiques.
De grâce et par respect pour nos lecteurs, sinon pour les administrateurs de ce blog,renoncez amis commentateurs à l'anonymat de vos commentaires. D'avance merci !
Rédigé par : Ugo Pandolfi | 13 janvier 2010 à 10:54
Lu dans le quotidien Corse-Matin les 4 et 13 janvier:
"Depuis sa cellule de Fresnes, il nous a adressé un courrier pour démentir les propos de l'auteur Roland Laurette, qualifiant cette mise au point « d'importante ".
« Ce monsieur a affirmé que je n'étais pas opposé à son projet de livre : c'est absolument faux ! A ce jour, je n'ai jamais donné mon accord pour un livre, que cela soit à M. Laurette ou à n'importe qui d'autre. Quant à ses propos, bien entendu, ils n'engagent que lui. Ni moi, ni ma famille, ni mes amis », écrit Yvan Colonna selon le quotidien du groupe Hersant.
Les références en ligne sont les suivantes:
http://www.corsematin.com/ra/corse/232979/corse-yvan-colonna-heros-tragique-du-roman-d-un-nicois
et
http://www.corsematin.com/ra/corse/234418/ajaccio-yvan-colonna-je-n-ai-jamais-donne-mon-accord-pour-un-livre
Rédigé par : Weblooker | 13 janvier 2010 à 09:34
" L’édition d’un roman est aussi une œuvre littéraire et commerciale. L’utilisation d’une affaire criminelle médiatisée, est un vieux truc pour faire un buzz éditorial. Le procédé est-il moralement acceptable ? "
La sincérité à elle seule est-elle un gage de désintéressement ?
Et le fait de procéder par insinuations est-il de nature à rétablir la vérité ?
Désolé de le dire ainsi, mais cette chose sent le scoop à bon compte. Et pour de nombreuses années, si vous voulez mon avis...
Rédigé par : micca nommi | 28 août 2009 à 15:38
Ce qui choque dans le procès d’Yvan Colonna, c’est qu’il n’a pas eu droit à des jurés populaires et une cour d'assises. Le recours à une juridiction exceptionnelle n'est pas la garantie d'un verdict juste si la raison d'état s'en mêle. Par ailleurs, l’enquête et l’instruction sont apparues contestables.
Toutefois, il ne faudrait pas vouloir ré-instruire une affaire judiciaire par une procédure romanesque qui offre le danger de la manipulation de l’opinion publique, dans la mesure où le but avoué serait d’innocenter Yvan Colonna.
Lorsque l’on cache des assertions et des démonstrations derrière une fiction pour échapper à des procès en diffamation, peut-on se revendiquer objectif et bien informé ?
Ugo a raison de soulever que « la grande faiblesse, voire l'effet pervers du choix romanesque non-fictionnel, est qu'il affaiblit plus qu'il ne valorise les paroles vraies sur lesquelles il se fonde».
L’édition d’un roman est aussi une œuvre littéraire et commerciale. L’utilisation d’une affaire criminelle médiatisée, est un vieux truc pour faire un buzz éditorial. Le procédé est-il moralement acceptable ?
Beaucoup d’encre a coulé sur l’assassinat du préfet Claude Erignac et le procès d’Yvan Colonna. Ce dernier est-il innocent ? Est-il coupable ? Le seul à vraiment le savoir: c'est Yvan Colonna lui-même.
Le quidam que je suis ne peut que regretter qu’il n’ait pas eu à ce jour un procès équitable. Toute la lumière n’a pas été faite sur la mort d’un homme, Claude Erignac, dont les carnets de notes auraient disparu en cours d’enquête.
Vouloir démontrer l’innocence d’Yvan Colonna à travers une fiction, en se servant de témoignages sur sa personnalité, est-ce la meilleure façon de le soutenir pour qu’il obtienne une procédure exceptionnelle de révision d’un jugement en appel dépendant actuellement uniquement d’un recours en cassation donc sur la forme et non sur le fond ?
Le juge de cassation ne rejuge pas l’affaire. Il vérifie seulement le respect des règles de procédure et la correcte application du droit par les juges du fond. Le jugement ou l’arrêt n’est annulé (ou cassé) que si la procédure a été irrégulière ou les règles de droit mal appliquées.
Rédigé par : Jean-Paul | 28 août 2009 à 14:43