Lire, c’est nul ! par Denis Blémont-Cerli
10 juin 2009
Une page, une page entière ! s’écrie mon petit voisin, huit ans, qui se plaint auprès de son père que l’instituteur ait pu lui infliger une pareille calamité. Tu te rends compte, continue-t-il, une page de lecture, mais c’est beaucoup trop long…
Cela m’interpelle et je m’entremets, étonné. J’essaie de lui faire concevoir à quel point la lecture peut lui ouvrir des portes qu’il ne soupçonne pas. Il va accéder à l’histoire, à notre passé. Le roman va l’envoyer vers des formes d'imaginaire fabuleuses essentielles pour ouvrir son esprit, notamment à la conception du monde vue par un autre que lui. Il me regarde bizarrement, je vois bien qu’il ne me comprend pas. Lire, c’est nul, conclut-il malgré mon argumentaire…
Comment, dans une société où tout va trop vite, lui faire admettre qu’un moment de lecture va lui apporter un apaisement, un instant pour se retrouver plongé dans son propre intellect et non dans la fureur d’un monde incapable de se poser, un monde où nos sens sont sans cesse sollicités.
Les enfants reproduisent au fond l’agitation qu’ils perçoivent chez les adultes. Plus personne ne semble capable de cesser de s’agiter pour méditer, réfléchir, pour se retrouver juste seul face à ce soi-même qui fuit, s’étiole et menace ruine.
Toutefois, plus je réfléchis à la question et plus je trouve à mon petit voisin des circonstances atténuantes. Il est vif et intelligent, c’est un Fifibrindacier garçon, mais c’est un enfant de la télé, d’Internet et des jeux vidéo, bref, de l’instantanéité si facilement accessible. Et puis le français, au contraire d’autres langues dont l’écrit est quasi phonétique, apparaît parfois comme un ensemble de pièges linguistiques propre à décourager les meilleures volontés. Chaque règle est suivie par une liste de cas particuliers longue comme un jour sans pain. Dans les chausse-trappes du pluriel des noms composés… Tiens, voyons donc voir « chausse-trappe ». Dans ce cas présent, le verbe reste invariable, le nom qui le suit prend le pluriel selon le sens. Mais, d’après un récent dico, on peut écrire : chausse-trape ou chausse-trappe, quant à la graphie rectifiée, elle nous accorde aussi chaussetrappe sans trait d’union. Bref on s’y perd.
Parlons également de la complexité du participe passé employé avec avoir. On le sait, il s’accorde avec le complément d’objet direct quand celui-ci est antéposé au verbe. Mais les participes passés ne s’accordent pas lorsque des compléments (circonstanciels ou adverbiaux) indiquant la durée, la mesure et le prix, les précèdent. Néanmoins, lorsque ces verbes sont employés transitivement, leur participe passé s’accorde malgré tout avec le complément d’objet direct antéposé. Également le participe passé des verbes dire, devoir, croire, savoir, pouvoir, vouloir, etc. (verbes d’énonciation et d’opinion) reste invariable lorsqu’ils ont pour COD un infinitif sous-entendu après le participe passé. Et des exceptions de ce genre il y en a encore une bonne dizaine ! C’est parfaitement insensé, comment vous voulez qu’un gamin de huit ans ne fuie pas vers sa Nintendo devant cette effarante complexité ?
Et s’il arrive par miracle à appréhender cette règle, il lui faudra affronter, entre autres, l’accord des adjectifs numéraux, l’accord des adjectifs de couleur, les déterminants indéfinis, le conditionnel présent demandant une subordonnée à l’imparfait ou au plus-que-parfait du subjonctif, du genre : « Je sens que je serais ravi que vous me parlassiez longtemps de vous. »
C’est bien dommage cette impénétrabilité, toutefois ce n’est sans doute pas la cause principale du désamour de la lecture chez nos jeunes. Dans mon enfance, je n’avais quasiment pas d’accès à l'information, seule la lecture me permettait d’ouvrir mon horizon. Chez moi les livres étaient rares, une dizaine tout au plus que j’avais dévorés très vite. Souvent j’en étais réduit à lire le dictionnaire pour combler mon appétit de savoir. Aujourd’hui on a trop à sa disposition, on va au plus facile et tout effort apparaît, de fait, superflu…
* Retrouver Arlette Shleifer dans Trace, Figure, Passage , Michel Moretti dans Mal Chronique, Elèna Piacentini dans Elénarration, Thierry Venturini dans L'effet Venturini et Denis Blémont-Cerli dans Homo machinus sempre emmerdae
Quand on a un quasi analphabète comme prince : gloire à l'ignorance ! Quand on la plupart des parents qui n'ouvrent jamais un bouquin, qui n'écrivent jamais une ligne ! Tant qu'on a l'OM comme horizon ! Entre maîtriser les règles du COD et s'exprimer y a un peu de marge. Un prière à boris Vian. salut à toi que je lis avec plaisir. michel
Rédigé par : Michel Moretti | 18 juin 2009 à 13:33
Je connais un bon livre sur la lecture : "Comme un roman" de Daniel Pennac. ( J'en profite pour rappeler que, si son nom ne l'indique pas, l'auteur a des origines corses...)
Daniel Pennac édicte dans cet ouvrage les droits du lecteur:
1°/ Le droit de ne pas lire.
2°/ Le droit de sauter les pages
3°/ Le droit de ne pas finir le livre
4°/ Le droit de relire.
5°/ Le droit de lire n’importe quoi.
6°/ Le droit au Bovarysme (maladie textuellement transmissible…)
7°/ Le droit de lire n’importe où.
8°/ Le droit de grappiller.
9°/ Le droit de lire à haute voie.
10°/ Le droit de nous taire.
De quoi décomplexer les jeunes à propos de la lecture qui doit être, avant tout, un plaisir.
Rédigé par : Jean-Paul | 11 juin 2009 à 16:18