Sommes-nous les véritables auteurs de nos romans ? par Denis Blémont-Cerli
23 novembre 2008
Il m’est venu cette idée que non seulement nous
essayons d’être un autre en écrivant mais que nous utilisons des mots et
des histoires qui ont existé chez d'autres bien avant nous. Concept
difficile ? J’ai tenté de développer ce sentiment d’un jet, je
ne sais pas si j’ai réussi… En tout cas,
dans la deuxième phrase, j’ai quatre COD du verbe avoir...
Chaque jour j’écris
une histoire que je crois inventée par mon imagination. Mais ce postulat est
faux, je n’invente rien. Cette histoire je l’ai vécue ou
d’autres l’ont fait à ma place, ou alors je l’ai lue, je
l’ai entendue, je l’ai vue au cinéma. Si Rock Agostini
est plongé dans la Première Guerre mondiale, c’est parce que mon grand
père est mort à Verdun et que, par le jeu d’un atavisme singulier,
j’écris à sa place. J’ai toujours été fasciné par cette période,
beaucoup trop, et cela dès l’enfance, ce n’est pas normal de se
passionner pour le Chemin des Dames lorsqu’on a 10 ans… Et les
histoires sont d'étranges miroirs déformants. Il suffit de se regarder, nous
sommes ceux qui nous ont précédés et ceux qui viendront. Nous sommes parents et
enfants à la fois. Les pères meurent à la guerre, les personnes proches changent
d’existence à la suite de ce bouleversement. Tout recommence, les
naissances et la mort sont un même assaut. Dans ce chaos, le romancier ne
cherche aucune cohérence, il témoigne et c’est tout. On n’explique
pas le monde, on largue les amarres en y pénétrant, la vie est une fuite,
l’échec nous guette et quand on croit atteindre une certaine forme de
réussite, elle semble tout à coup parfaitement dérisoire. Mais il y a des
instants de bonheur. Aujourd’hui, j’ai eu droit à une demi-heure
extatique en réécoutant « Trick of the tail » de Génesis, mon disque préféré en 1975, l’année de mes
vingt ans. Ah le melotron sur le divin « Entangled » ! Quiconque reste indifférent à
l’écoute de ce morceau est un bout de bois sans âme…
La musique nourrit
mieux que les mots, j’abandonnerais à l’instant l’écriture si
je savais composer de la musique. Les mots ne sont que des mots alors que les
sons laissent apercevoir des pépites divines. Demain, oui demain
j’écrirai à nouveau puisque c’est une nécessité et je ne sais pas
faire autre chose. Quelqu’un guidera mes mains sur le clavier, ce ne sera
pas le hasard. Mes personnages dessineront la trame d’autres vies qui se
répètent, Rock tentera de survivre tandis que Flora et Jean Baptiste, ses
parents, prieront pour son salut. Je serai manipulé, on m’utilisera comme
narrateur, je porterai le masque de l’auteur qui croit s’exprimer
alors qu’il n’est que le jouet de forces qui l’utilisent. On
croit construire un roman, on croit à cette fable, on ne fait que transcrire la
vie volée à autrui. Lieu d’errance, le livre est une métaphore de
l’ambiguïté plurielle de son prétendu auteur.
* Retrouver Michel Moretti dans Mal Chronique, Elèna Piacentini dans Elénarration et Denis Blémont-Cerli dans Homo machinus sempre emmerdae
Sur ce site extraverti multi-auteur, Denis a inventé le concept intraverti du pluri-auteur: Je.
Je regroupe ce que "Je" était, est et sera. Et cela fait beaucoup de monde en comptant l'égo, le moi et le surmoi.
Il constate que, en somme, Je est un autre qui pratique la métaphore de façon ambigüe et métamorphose le Je en auteur... Veni, vini, scrivi!...Pouët! pouët! Tirlipinpon!...
Rédigé par : Jean-Paul | 23 novembre 2008 à 11:27
Précision concernant les COD du verbe avoir : en tant que chroniqueur en CDD, mon contrat précise que je toucherais 0,1 centimes d’€ pour chaque COD du verbe avoir. Vous comprenez maintenant pourquoi je roule en Mercedes…
Rédigé par : Denis | 23 novembre 2008 à 10:09