Une bonne blague corse
A Marana par Thierry Venturini

Les auteurs viennent de Mars et les lecteurs de Venus… (suite 5) par Denis Blémont-Cerli

Dbc_dessin_mix_mix_deux Le lecteur compulsionnel ? Celui-là aime tellement les livres qu’il ne peut s’empêcher d’en acheter sans cesse. Il les chérit, savoure les phrases et les mots, n’imagine pas un instant la vie sans lecture, envisage le suicide si on le prive plus de deux jours de sa passion, aime les auteurs d’un amour profond et sincère et se ferait damner pour une dédicace de Muriel Barbéry.

Dbc_dessin_mix_mix_deux_2 Le lecteur compulsionnel est intelligent, toutefois dans son inclinaison tous azimuts de l’objet imprimé, il oublie parfois de distinguer le bon grain de l’ivraie mais quoiqu’il en soit le lecteur/compulsionnel est une race à défendre, il faut éviter de mettre en péril un genre qui permet à des milliers d’auteurs de survivre. Voilà pourquoi je propose qu’on le parque dans des réserves « Rimbaud » où, entre deux achats compulsionnels, il pourra baguenauder entre les statues d’Hugo, d’Hemingway et Balzac tout en déclamant des poésies vers les nuages. Attention, il faudra prévoir de mélanger les lecteurs compulsionnels dans des proportions où la mixité sera parfaitement respectée afin qu’ils se reproduisent sans gêne, la race doit être protégée. Dans ces parcs « Rimbaud » tout sera mis en œuvre pour éviter qu’une bibliothèque publique s’installe. Au contraire des menuisiers seront embauchés à l’année afin de construire des étagères chez nos amis, étagères qui devront être remplies dans un délai impératif que le collectif des auteurs sera chargé de faire respecter.

Bref, nous affectionnons le lecteur compulsionnel plus que tout et, nous les auteurs, serions prêt à faire n’importe quoi pour lui, par exemple lui vendre tous nos livres par pack de 10 en les dédicaçant un par un !

* Retrouver Michel Moretti dans Mal Chronique, Elèna Piacentini dans Elénarration, Thierry Venturini dans L'effet Venturini et Denis Blémont-Cerli dans Homo machinus sempre emmerdae

Commentaires

Jean-Paul

A la fin du 17ème siècle, un certain La Bruyère a écrit « Les caractères »… La chronique de Denis vient prolonger un débat fort ancien qui nous a rappelé l’œuvre de ce Parisien mort à Versailles en 1696 après la huitième édition de son ouvrage (et nous souhaitons à Denis une huitième édition de chacun de ses ouvrages) auquel aucun lycéen n’a pu échapper.

Le chapitre premier commence par cette phrase : « Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de 7000 ans qu’il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les anciens et les habiles les modernes… »

Nous en rappelons quelques extraits en conseillant la relecture intégrale des « ouvrages de l’esprit » ( chapitre premier)

Des ouvrages de l’esprit :

(I) « Bien des gens vont jusques à sentir le mérite d'un manuscrit qu'on leur lit, qui ne peuvent se déclarer en sa faveur, jusques à ce qu'ils aient vu le cours qu'il aura dans le monde par l'impression, ou quel sera son sort parmi les habiles: ils ne hasardent point leurs suffrages, et ils veulent être portés par la foule et entraînés par la multitude. Ils disent alors qu'ils ont les premiers approuvé cet ouvrage, et que le public est de leur avis.»

(VI) « Ces gens laissent échapper les plus belles occasions de nous convaincre qu'ils ont de la capacité et des lumières, qu'ils savent juger, trouver bon ce qui est bon, et meilleur ce qui est meilleur. Un bel ouvrage tombe entre leurs mains, c'est un premier ouvrage, l'auteur ne s'est pas encore fait un grand nom, il n'a rien qui prévienne en sa faveur, il ne s'agit point de faire sa cour ou de flatter les grands en applaudissant à ses écrits; on ne vous demande pas, Zélotes, de vous récrier: C'est un chef-d'œuvre de l'esprit; l'humanité ne va pas plus loin; c'est jusqu'où la parole humaine peut s'élever; on ne jugera à l'avenir du goût de quelqu'un qu'à proportion qu'il en aura pour cette pièce; phrase outrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou l'abbaye, nuisibles à cela même qui est louable et qu'on veut louer. Que ne disiez-vous seulement: "Voilà un bon livre"? Vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l'Europe et qu'il est traduit en plusieurs langues: il n'est plus temps. »

« Si certains esprits vifs et décisifs étaient crus, ce serait encore trop que les termes pour exprimer les sentiments: il faudrait leur parler par signes, ou sans parler se faire entendre. Quelque soin qu'on apporte à être serré et concis, et quelque réputation qu'on ait d'être tel, ils vous trouvent diffus. Il faut leur laisser tout à suppléer, et n'écrire que pour eux seuls. Ils conçoivent une période par le mot qui la commence, et par une période tout un chapitre: leur avez-vous lu un seul endroit de l'ouvrage, c'est assez, ils sont dans le fait et entendent l'ouvrage. Un tissu d'énigmes leur serait une lecture divertissante; et c'est une perte pour eux que ce style estropié qui les enlève soit rare, et que peu d'écrivains s'en accommodent. Les comparaisons tirées d'un fleuve dont le cours, quoique rapide, est égal et uniforme, ou d'un embrasement qui, poussé par les vents, s'épand au loin dans une forêt où il consume les chênes et les pins, ne leur fournissent aucune idée de l'éloquence. Montrez-leur un feu grégeois qui les surprenne, ou un éclair qui les éblouisse, ils vous quittent du bon et du beau. »

« Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point; les esprits médiocres croient l'entendre parfaitement; les grands esprits ne l'entendent quelquefois pas tout entier: ils trouvent obscur ce qui est obscur, comme ils trouvent clair ce qui est clair; les beaux esprits veulent trouver obscur ce qui ne l'est point, et ne pas entendre ce qui est fort intelligible.
Un auteur cherche vainement à se faire admirer par son ouvrage. Les sots admirent quelquefois, mais ce sont des sots. Les personnes d'esprit ont en eux les semences de toutes les vérités et de tous les sentiments, rien ne leur est nouveau; ils admirent peu, ils approuvent. »


De la mode ( chapitre 13)

« Mais quand il ajoute que les livres en apprennent plus que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses discours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir: je vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison où dès l'escalier je tombe en faiblesse d'une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me nommer les meilleurs l'un après l'autre, dire que sa galerie est remplie à quelques endroits près, qui sont peints de manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l'oeil s'y trompe, ajouter qu'il ne lit jamais, qu'il met pas le pied dans cette galerie, qu'il y viendra pour me faire plaisir; je le remercie de sa complaisance, et ne veux, non plus que lui, voir sa tannerie, qu'il appelle bibliothèque. »

Jean-Paul

Mon cher Denis !

Après le lecteur « nunuche », voilà le lecteur compulsionnel !

La lecture serait-elle uniquement une contrainte pour ces lecteurs caricaturés ? Le nunuche se forcerait à lire les livres primés et dont la presse parle. De son côté, le lecteur « compulsionnel » serait pousser par un besoin d’acheter des livres, et donc atteint d’une sorte de névrose obsessionnelle.
Pour ces derniers, tu proposes de créer des « parcs humains » dédiés à Rimbaud avec des étagères et des statuts de la littérature classique. Ils constitueraient une race et se reproduiraient pour acheter des livres.
C’est un bon sujet de livre dans la SF: on pourrait imaginer que ces lecteurs « compulsionnels » se révoltent un jour et commettent un gigantesque autodafé des livres qui seraient la cause de leur enfermement et de leur névrose.

Finalement être lecteur, c’est-à-dire lire encore dans un monde d’images, c’est prendre le risque d’être jugé ( avec l’élégance d’un hérisson) comme « nunuche » ou intelligent « névrosé ».

marie-france

bien d'accord avec votre analyse
bref le lecteur a la même dépendance physique au livre que le spectateur des "feux de l'amour" ; dans les 2 cas, on nous dit "délassement", oubli du quotidien, douce torpeur et revers de la médaille, effet de manque, nervosisme...si privation

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