Foule Sentimentale…par Eléna Piacentini
25 octobre 2008
Si je n’ai pas suivi « l’incident des sifflements » (la
langue de bois est très facilement assimilable), j’ai suivi vos échanges avec
plaisir et intérêt.
Des images ont ressurgi de ma mémoire. Pas celles de la coupe du
monde, non, mais celles tristement célèbres du stade du Heysel.
Ce que je vois dans ces tribunes, moi, c’est une foule.
Un individu pris dans une foule régresse de plusieurs degrés dans
l’échelle de l’évolution, voilà le constat de ce cher vieux Sigmund et de son
collègue Le Bon, même si par la suite leurs avis divergent (la limite du dogme
c’est qu’il ne peut être remis en cause, ni même évoluer !).
Qu’elle braille, hurle, siffle, chante ou explose en embrassades, la
foule me terrifie. La raison déserte les gradins pour laisser le champ libre à
une frénésie d’émotions et d’action. Cela, de nombreux dirigeants l’ont compris
il y a bien longtemps.
Le plus drôle dans cette histoire, c’est que le propre neveu de
Sigmund, Edward Bernays, a mis en pratique les conclusions de Le Bon pour jeter
les bases de la propagande moderne appliquée. Aidé d’un journaliste, il est
aussitôt passé à la phase expérimentale qui consistait à faire basculer
l’opinion américaine isolationniste vers une position interventionniste.
Heureusement pour nous, cela a fonctionné. Enfin, chacun jugera selon
ses propres critères… Il n’en demeure pas moins que devant ce succès éclatant,
les grands patrons d’industrie se sont dit qu’il serait dommage qu’une telle
science soit perdue à jamais. Et voilà que la Propagande (Frade Adjaceo aurait
peut-être un mot à dire à ce sujet puisque l’invention est papale) se
transforme en Publicité… Les choses se gâtent. A chaque fois qu’un sociologue
ou qu’un scientifique fait une percée sur les mécanismes de notre cerveau, la
découverte est aussitôt exploitée à des fins mercantiles.
Mais nos hommes politiques ne sont pas les moins outillés dans le
domaine de la manipulation, certains sont plus talentueux que d’autres mais
quasiment tous s’y essaient.
La foule, ils en veulent. Mais celle qui brandit le poing en scandant
le dernier slogan concocté par leurs conseillers en communication. Ils
dépensent des fortunes en débauches d’écrans géants et de musiques énergisantes,
pour anesthésier toute pensée intime. Ils se sentent le courage et la force de
mille hommes et ils mouillent la chemise en faisant appel aux grands mythes du
passé. Ils nous désignent des ennemis en nous exhortant à les combattre pour
guérir tous nos maux. Ils nous infusent de faux courages en nous faisant croire
que nous sommes des millions engagés dans le même mouvement.
Ils encouragent la foule à communier dans l’allégresse, ils la gavent
de jeux, de bonheurs par procuration.
Mais quand par mégarde, la foule se retourne, grogne ou grimace, ils
jouent les vierges effarouchées, les vertus outragées.
Oui, moi, dans un stade, je ne vois qu’une foule. Et quand, dans un
groupe, plus de deux personnes se mettent à penser la même chose, des alarmes vibrent
dans mon cerveau. Celui qui est seul contre tous n’a pas davantage raison du
simple fait de son isolement, mais au moins peut-il se consoler en se disant
que sa pensée lui appartient et qu’il n’a pas été victime d’une transfusion
collective.
Pour conclure, je retiens enfin, qu’une fois encore, face à un
mouvement de foule, ceux qui sont sensés nous diriger, ont répondu à l’émotion
par l’émotion, à la provocation par la menace.
Ce n’est, hélas, pas demain que, suite à un débat apaisé et serein, nous pourrons chanter ensemble « le chant des partisans », même s’il s’en trouvera toujours quelques uns qui, protégés par la foule, trouveront l’audace de le siffler.
Retrouver Eléna Piacentini dans la rubrique Elénarration
Commentaires