Confession anonyme
03 octobre 2008
Je m’appelle Eléna. Mon histoire est d’une banalité
affligeante. J’ai accepté un livre. Je ne l’ai pas acheté dans une librairie,
non. C’est un vendeur à la sauvette qui me l’a fourgué. Je sais maintenant que
j’aurai du refuser, lutter, repousser définitivement l’offrande. Mais j’ai été
faible. J’ai succombé.
Je l’ai laissé quelques jours sur
ma table de nuit. Et puis, un après-midi, je l’ai mis sans réfléchir dans mon
sac et j’ai conduit mes filles se dégourdir les jambes et les cordes vocales
dans un parc. C’est là que tout a vraiment commencé. Je me suis dit que
j’allais lire quelques pages, histoire de chasser le temps, puis le refermer,
tout aussi simplement que je l’avais ouvert. Je sais, ils disent tous ça.
D’abord j’ai été victime d’hallucinations légères : des couchers de soleil au large des côtes du Cap, un jardin, le passage furtif d’un oiseau migrateur.
Le mal s’est répandu à vitesse exponentielle. Des sensations olfactives tenaces m’ont envahie : de l’ail qui fond dans un peu d’huile d’olive et même, avec la pluie, une odeur de chien mouillé mêlée aux embruns du soir.
J’avoue. J’ai sauté des pages. Pour aller plus vite, pour augmenter la dose. Et puis lorsque je me suis rendue compte que mon stock de texte clos était en train de s’épuiser dangereusement, je suis revenue en arrière. Histoire de lire les fameuses pages que j’avais survolées. Je sais, c’est pitoyable. Tout comme un fumeur qui rallume les mégots tombés à terre. A présent, je sais que j’en ai fini. Je n’ai plus le moindre produit. Je me cache pour relire certains passages. Je tremble et j’ai la rage. Le salaud qui m’a donné ce livre est incapable de m’approvisionner. Il m’a cramé mon Antoine. Et même pas proprement en plus. Il s’est fait aidé d’une sale maladie orpheline. Un gars intelligent, sensible, qui sait cuisiner et qui la ramène pas. Un gars qui offre des billets d’avion à sa douce (au prix des billets, voilà qui n’est pas négligeable). Un contemplatif qui aime les plaisirs de la vie. C’est n’importe quoi ça Ugo ! On n’a pas le droit de créer un Antoine comme çà, de le faire vivre gentiment pendant plus de deux cent pages, de laisser le lecteur, ou plutôt la lectrice, se prendre de tendresse pour lui et puis de le faire disparaître en traître ! C’est comme faire passer un gâteau tout chocolat de chez Leoncini sous le nez d’un dépressif qui n’aurait mangé que des Big Mac depuis des mois ! Depuis on me propose du Chattam ou du Grangé. Mais j’en veux pas moi de votre méthadone ! C’est Antoine que je veux.
J’ai tenu à témoigner afin que mon histoire puisse servir d’exemple. Mais je lance un appel à tous ceux qui comme moi ne peuvent se résoudre à cette tragique dilution. Je lance également un Antoinethon. Envoyez vos souscriptions à Corsicapolar. Ugo, ce félon, en accusera réception. Et s’il est inflexible, j’en viendrai aux menaces.
Ugo, si tu ne nous ramène pas Antoine illico, je l’accueille dans un prochain bouquin ! Rien à balancer de la réalité, de la véracité ! J’inventerai un chercheur fou capable de ressusciter Antoine juste à l’aide d’un poil de chat qu’il aurait caressé.
Si la fiction nous aide parfois à supporter la réalité c’est que, malheureusement, bien souvent, la réalité dépasse la fiction.
Retrouver Eléna Piacentini dans sa chronique Elénarration
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