Notre lâcheté a-t-elle un prix ? par Denis Blémont-Cerli
31 juillet 2008
La peur est là, insidieuse, chaque jour qui passe elle s’accentue. Le sentiment de chute inexorable se répand en donnant cette impression, sans doute réelle, de ne plus rien maîtriser. On courbe le dos, on espère que la grande machine libérale mondialiste nous épargnera, nous et notre famille, en touchant le voisin dont on souhaite qu’il se résignera à son sort sans faire d’histoire, notre lâcheté étant à ce prix…
Chaque semaine,
on nous lamine un peu plus… Présenté par Christine Boutin il y a quelques jours,
l’avant-projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion,
a suscité un tollé d’une multitude d’associations sociales. En absorbant, dans
le mode de calcul des 20% de logements sociaux, l’accession à la propriété, cette
pantalonnade permettra aux communes qui ne respectent pas les 20% en matière de
logement social de se libérer complètement de cet engagement bien ennuyeux. De
plus, les dispositifs d’expulsion ont été pareillement métamorphosées (délai
d'expulsion réduit des deux tiers) ce qui va dans le sens d’un nombre d’expulsions
bien plus important. D’après le gouvernement, il s’agirait que 70% des Français
deviennent propriétaires, ce qui revient à pénaliser une fois de plus les plus
démunis. Soyons honnêtes, qui peut acheter son logement de nos jours ? C’est
de la démagogie pure et simple de faire croire cela à la population à l’heure
ou les taux explosent, alors que les prix de l’immobilier se sont envolés vers
des sommets parfaitement insensés. Ces mesures vont totalement à l’opposé de ce
qui avait été promis par le gouvernement, rappelez-vous la promesse de
Nicolas : plus personne ne devait être contraint de vivre dans la rue,
avait-il affirmé la main sur le cœur…
Une autre des
« bonnes nouvelles » de l’été, après le « flinguage
en loucedé » des 35 heures, ce sera de taxer les
mutuelles afin de faire rentrer 1 milliard d’euros dans les caisses de la SS.
On nous annonce, bien entendu, que cette mesure a été calibrée pour éviter
toute hausse de cotisations des mutuelles. Ben voyons,
ils ne vont pas la répercuter, un milliard, une broutille pour nos si gentilles
mutuelles… Remarquez ce n’est pas bête, toute l’opprobre ira contre elles et
pas contre le gouvernement. Ah les 4 milliards de déficit, le fameux trou de la
sécu ! Rapporté au gouffre du déficit de l’état – 1200 milliards – c’est
de la menue monnaie. Rappelons que la totalité de l’impôt sur le revenu ne
suffit plus à payer l’intérêt de cette dette. Mais réfléchissons… N’est-ce pas
là, une des plus sûres créances pour les banquiers ? Un état occidental du
G8, la quatrième puissance mondiale… Ça arrange qui notre dette ? Les
préteurs, les financiers qui s’assurent de magnifiques rémunérations sans aucun
risque…
La preuve est faite depuis longtemps d’énormes gâchis
d’argent public provoqués par des choix fiscaux désastreux. La politique
d’exonération de cotisations sociales patronales coûte 23 milliards chaque
année et il n’y a toujours pas de création massive d’emplois malgré cette somme
pharaonique. Le fameux bouclier fiscal a coûté 17 milliards d’euros et il
profite aux 10 % des ménages les plus riches, à la France des rentes. À ce jour
qu’elle a été sa répercussion sur l’économie ? Néant,
nada, peanuts… Et pendant que les uns font vaches grasses, la droite et le
MEDEF nous culpabilisent en nous appelant à nous serrer la ceinture, à
travailler plus pour gagner « plus » ( ?) et tout ça au nom de
la réduction de la dette publique dont ils ne veulent pas en réalité, car c’est
une source de revenu extraordinaire pour les banquiers. Et j’allais oublier la
vingtaine de milliards dilapidée depuis 2002 dans les diverses baisses d’impôts
que tout le monde a oublié.
C’est cela qui tue notre économie. Mais pourquoi alors les
médias n’en parlent pas ?
À qui appartiennent les
médias ? Il faudrait tout de même redescendre un peu sur terre… On le
sait, nous vivons dans un modèle de démocratie, pas question de nous laver le
cerveau, la presse est si libre en France que mobiliser l’opinion pour créer un
écran de fumée, asphyxier les dissonances, lyncher un ou une candidate à
l’élection présidentielle, toutes ces choses que l’on voit ailleurs dans les
républiques bananières, oui tout cela n’est pas possible chez nous.
L’opposition est laminée, le Parti socialiste uniquement
occupé à s’entre-déchirer entre « éléphants », et d’ailleurs ce même
parti prône maintenant l’économie libérale comme une vérité absolue, de quoi
faire retourner ce bon vieux Jean Jaurès dans sa tombe. Remarquez, il est
habitué, n’oublions pas comment il a été utilisé pendant la dernière campagne présidentielle
par Nicolas Sarkozy, c’était proprement surréaliste !
Que reste-t-il
des verts, du MoDem, du PC. Existent-ils
encore ? Existent-ils encore une opposition dans ce pays ? Devant cet
effrayant vide, pouvons nous affirmer que nous sommes encore en
démocratie ?
Et les
syndicats ? Toujours en ordre dispersé, en se regardant en chien de
faïence…
L’opposition se
réduit aujourd’hui à quelques catégories professionnelles, quelques collectifs et surtout les
associations à caractère social. Les associations et Internet seront-elles les
dernières oppositions à la politique de déconstruction du système social
français ?
Qui se bat
encore contre l’accroissement des inégalités sociales, qui défend encore le service
public, sinon eux. Qui critique sans cesse et vigoureusement, en décryptant ses
agissements, l’ancien maire de Neuilly, le roi nu, sans autre solution que la
fuite en avant et l’installation d’une espèce de monarchie absolue en France.
Et d’ailleurs, qui représente encore l’esprit de 1789 dans un peuple sous Lexomil cédant chaque jour davantage les acquis obtenus de
hautes luttes sans se rendre compte qu’il va tout perdre, même son honneur.
Liberté,
égalité, fraternité ?
Hélas, encore
une fois, ce ne sont que des mots…
Salut Denis
Le roman s'appelle "Les âmes brisées" et il est d'Alan Duff. Et contrairement à ce que j'ai écrit un peu trop hâtivement, à une heure où ma mémoire se met parfois en rideau, c'est un roman non pas australien mais néo-zélandais. Faute !
Il n'y est d'ailleurs pas seulement question de gangs rivaux, comme tu le verras.
Et tu trouves ça chez Actes Sud/Babel.
Rédigé par : Elisabeth | 08 août 2008 à 12:41
Elisabeth, j'aurais bien aimé connaitre le titre du roman australien mettant un scène deux gangs rivaux.
ta dernière phrase m'a fait immédiatement penser à notre majesté qui va se les bouffer grave aujourdhui à Pekin. en faisant le matamore puis en s'envolant vers Pekin comme un cocker regagnant sa niche après son os, il a perdu sur tous les tableaux notre new Daladier...
Rédigé par : denis | 08 août 2008 à 09:16
Salut Denis
Ce n'était qu'un commentaire qui ne prétend en rien amener un éclairage. D'autant que j'en ai fini avec le temps où l'on voulait se réclamer d'une "France des Lumières". J'ai beau avoir un fond de tendresse pour cette canaille de François-Marie Arouet, ne serait-ce que pour son art consommé de la mauvaise foi malicieuse, il y a des "limites aux bornes" de l'admiration béate, patiemment encouragée puis entretenue par le catéchisme scolaire. C'est qu'ils firent très fort, nos grands hommes, pour ne pas mettre leurs actes en conformité avec ce qu'ils professaient à autrui. Et que si l'on cite volontiers les morceaux de bravoure du François-Marie, ses belles envolées généreuses, on passe pudiquement sur ses propos odieux à l'égard des Juifs. Et nul ne s'avise trop de faire observer que celui qui lançait, à peu de choses près "Je déteste vos idées mais je suis prêt à donner ma vie pour que vous puissiez les exprimer" est mort fort vieux, de sa -plus ou moins- belle mort, non sans laisser son nom à un style de fauteuil. Mourir pour des idées, d'accord mais de mort lente, en somme… Quant à ce brave Jean-Jacques, avec sa bonne bouille d'honnête homme, on lui doit de beaux textes, mais cinq de ses gosses lui durent une vie de laissés pour compte à l'assistance publique (ou son équivalent) et il vécut trente ans aux crochets de cette pauvre fille de Thérèse Levasseur. Comme quoi, l'homme n'est pas seulement bon à l'état de nature, il est aussi maquereau à l'état de nature. Il est vrai que depuis, la science nous a appris que nous descendions peut-être d'un poisson.
On me dira certes qu'il ne faut pas confondre l'homme et l'œuvre, le problème est que justement, c'est dans cette illusion-là qu'on nous a entretenus pieusement.
Pour répondre à Gorsas, l'esprit de 1789, c'est en effet pour moi celui qui devait enfanter la Terreur. Et je ne sais si le Français se satisfait de toujours trouver plus pauvre, plus cocu et battu que lui, mais ce qui est certain à mes yeux, c'est qu'il est perpétuellement en quête de brebis expiatoires, de boucs émissaires, de "responsables" dont, promis-juré-craché, il convient seulement de les éradiquer, de les extirper, de se débarrasser pour que tout aille bien. Selon les époques, le galeux, le pelé est huguenot, noble, maghrébin ou encore corse. C'est hélas humain, la France n'a pas le triste monopole du "trouvez-moi vite un responsable à étriller !" mais elle a des dons pour ce faire, c'est -du moins selon moins- incontestable. Son enfer, c'est toujours les autres.
Quant à la presse, il y a bien longtemps qu'elle est contingente -et contingentée ! José Lenzini en a fort bien parlé à Ajaccio. Le plus terrible étant que non content de subir des censures déguisées -on préfère désormais parler de "pressions amicales"- de se cantonner à égrener le rosaire convenu du politically correct en faisant mine de croire qu'elle fait là œuvre de "presse d'opinion", elle fait montre de frilosités risibles. La plus terrible étant de s'interdire certains mots ou expressions pour ne pas "marquer mal" : quel journaliste "de gauche" oserait aujourd'hui employer des mots tels que "plumitif", "diabolisation", ou "bien-pensant" ? Depuis que Le Pen s'en est gargarisé, il est entendu que c'est là un vocabulaire qui trahit son facho. Peut importe le contexte dans lequel vous les employez, le propos qu'ils sont censés servir, si vous en usez, c'est que vous êtes un fan du borgne ! Belle façon de résister que de céder du terrain sur une langue qui a priori est à tous ! Prions pour que l'extrême-droite ne truffe pas ses discours avec des mots ou des expressions comme "travail de deuil", "droit au logement", "engagement citoyen", "développement durable", "diversité", "communautarisme", sans quoi j'en connais qui vont vraiment être mal !
Cette façon de se refuser le plaisir ou la commodité des mots au prétexte que des bouches impies les ont remâchées me fait penser à ce roman australien mettant un scène deux gangs rivaux. L'un d'eux s'appelle les "black quelque chose" et leurs adversaires ont donc pris le parti de ne plus jamais utiliser le mot "noir" dans leurs conversations, tout manquement à cette loi entraînant des sanctions voire des sévices. Ce qui donne lieu à un festival de gags irrésistibles, dès lors que les membres du gang, qui déjà n'ont pas un matériel lexical très fourni, doivent se gratter les neurones pour dire "noir" sans le dire… Poilant, hein, ce qui se passe chez les bouffeurs de kangourous ? Certes.
Sauf que chez nous, où l'on se targue d'échapper -et avec quelle grâce, quelle vigueur !- au sectarisme le plus absurde, où l'on se dit adversaire déclaré du "communautarisme" on n'agit pas autrement.
Franchement, si ma tante en avait…
Ben je crois qu'elle ferait un stage au cirque de Pékin pour apprendre à se les mordre…
Rédigé par : Elisabeth | 07 août 2008 à 22:53
La seule révolution réussie aura été bourgeoise et n'est que l'aboutissement du siècle des Lumières pour compléter l'éclairage d'Elisabeth. L'esprit de cette révolution est plus la Terreur que la devise "Liberté, égalité, fraternité" qui n'aura été qu'un slogan publicitaire; Elle n'a pas empêché la restauration, la répression sanglante des Communards et la politique impérialiste de la France.
Les royautés comme l'Angleterre, l'Espagne, la Belgique... sont arrivés au même point que la France sans révolution.
C'est une belle devise "Liberté, égalité, fraternité" dans la république d'Utopia. Finalement, le Français se satisfait toujours de savoir qu'il y a plus pauvre que lui et comme a dit Coluche "d'être plus égaux" que ses voisins. Il reste fraternellement indifférent au sort de l'autre. L'esprit de Mai 68 a pris un gros coup de vieux et d'aucuns veulent l'euthanasier...
A la Royauté inique, on a substitué la république cynique. Que fait la presse? Quelle leçon a-t-elle tiré de cette révolution bourgeoise et de la répression, sous la Terreur, des journalistes trop satyriques?
Pour reprendre la devise d'un journal enchaîné: Ont-ils eu la peau de la Presse après avoir eu ses plumes?...
Heureusement, sans surpondérer leurs poids, il y a des plumes déchaînées chez Corsicapolar...
Rédigé par : Gorsas | 07 août 2008 à 10:42
elisabeth, encore un superbe commentaire ! merci pour tes éclairages...
Rédigé par : denis | 07 août 2008 à 09:58
Salut Denis,
Très belle chronique. Un bémol tout personnel, cela dit. Si je partage tes opinions et ton analyse pour l'essentiel, la référence à un "esprit de 1789" me fait sourire… jaune.
Certes, dans notre enfance, nous en avons bouffé des leçons sur 1789, sur cette Révolution française que l'on s'employait à magnifier. Durant des générations, les mouflets que nous avons été se sont montrés des clients faciles, bon public. C'est que ça avait quelque chose d'épique, de sublime, ces clichés idéalisés sur un peuple opprimé se soulevant, porté par des idéaux de justice, de liberté, d'égalité et de fraternité. Peuple d'éternels cocus, en fait.
1789 n'est qu'une invention des bourgeois. Cette révolution fut conçue par eux et pour eux qui attendaient leur heure, rongeaent leur frein, tels le vizir Iznogoud qui ne désespère jamais d'être calife à la place du calife.
Le peuple -tu sais, cette pulpe humaine mais qui semble pourtant avoir plus d'un gène commun avec le mouton, et accepte passivement à peu près tout et n'importe quoi du moment qu'il conserve l'illusion d'être "souverain" ?- ne fut qu'un exécutant, bien aisé à manipuler. Le "couillon du film" qui tire obligeamment les marrons du feu et perd ensuite son temps à oindre ses doigts brûlés cependant que les autres se servent et bâfrent sans lui prêter attention. Celui qui est voué, de toute éternité, à rester derrière la porte au moment de la distribution.
L'esprit de 1789 ? Mais il nous hante, précisément ! Il nous colle aux tongs, aux baskets ! Et lorsque tu parles de "prix de notre lâcheté" comment ne pas se rappeler que cette révolution démarra par un fait d'une insigne lâcheté que, durant des lustres on s'est évertué à nous dépeindre sous l'apparence d'un vrai grand morceau de bravoure "populaire" ? Ah ! La prise de la Bastille ! Une prison aux deux-tiers désaffectée, n'hébergeant plus que deux ou trois authentiques sagouins fort peu représentatifs du populo affamé et qu'on a relâchés dans la nature… Bel exploit ! Couronné par le massacre d'une petite garnison qui, s'étant rendue sans opposer de résistance, se trouvait désarmée. Et c'est précisément l'anniversaire de cette sordide pantalonnade que l'on a retenu pour tenir lieu de fête nationale. Le superbe mythe fondateur que voilà.
Placée sous ces auspices-là, comment une république pourrait-elle produire quoi que ce soit de juste, d'équitable, de fraternel ou de courageux ?
Je précise que je n'ai pas la moindre action ni le moindre intérêt auprès de la maison d'Orléans…
Force m'est seulement de constater que le peuple désormais "souverain" n'a fait que troquer un roi et une noblesse contre une foultitude de roitelets, de bourgeois-gentilshommes ayant fait carrière, qu'il n'a que l'illusion de choisir. Et qui le méprisent et le bafouent au moins autant que ne le faisaient leurs prédécesseurs.
Tout au plus se croit-on libres et (hélas) plus encore terriblement frondeurs et intrépides parce qu'on peut se permettre sans trop de risque de les critiquer ou les railler ouvertement. La dupe ricane, c'est désormais la seule façon qu'elle connaisse de montrer un peu les dents… mais elle se plie tout de même bien sagement. Et même ce faux-semblant-là finira par nous être refusé, je le crains.
Et puisque nous sommes sur un site dédié au polar, je recommande la lecture de la série des "Nicolas Le Floch", dont l'action se situe à la fin du règne de Louis XV et au début de celui de Louis XVI. Il est frappant de constater sous la plume de Jean-François Parot, diplomate et historien, à quel point, hormis cette avancée du reste bien récente qu'est l'abolition de la peine de mort, combien en plus de 230 ans, les choses ont fort peu évolué en France…
Alors, vois-tu, lorsque j'entends évoquer "l'esprit" ou les "idéaux" de 1789, je n'ai guère envie de m'écrier "Ça ira !" mais plutôt, comme pourraient le faire les copains Scotto, Jacquet et De Rocca (que je salue au passage) "mon vier, Madame Olivier !"
Et puis Colombe, c'est plus joli que Marianne, d'abord…
Cordialement
Rédigé par : Elisabeth | 06 août 2008 à 22:56