La nuit de San Matteo: Un monde obscur et rude par Okuba Kentaro
11 octobre 2007
Un
jour, bien plus tard, quand on cherchera dans les mémoires collectives,
sinon dans les ouvrages d’érudition. Hein ? Qu’est-ce que je dis ? De
toutes façons, tel que c’est parti il n’y aura plus jamais d’érudition.
Juste des petits gars boutonneux spécialistes des jeux vidéos et des
patches de survie.

Parce que le polar corse, cela ne consiste pas, pas seulement, à s’isoler dans cette obstination didactique d’écrire une phrase en lingua nostrale (ou vernaculaire pour ceux qui ne vivent que de mots oubliés) et de la faire suivre tout de suite de sa traduction approximative en français ; ce n’est pas davantage ce tic de progression dramatique qui fait que le personnage traverse la moitié des paysages de l’île, et Dieu sait s’il y en a, pour aller découvrir des cadavres parsemés comme des bouquets de digitalines. Non, le polar corse tient plutôt d’une manie de manier l’épisode humain le plus sinistre et d’en tirer la substantifique moelle de la solidarité, du silence devant la mort, de la dureté des coups portés, de la chaleur des réconforts, de la brièveté de l’instant de gloire, de la réalité durable des défaites. Les personnages vivent bien plus qu’ils n’enquêtent, souffrent bien plus qu’ils n’analysent, ressentent quand bien même ils pensent et se veulent objectifs C’est fondamentalement cette aptitude à se placer en retrait tout en brûlant de se livrer au combat, tout en se consumant d’émotions.
Le commissaire Bati Agostini est de ces Corses là, un gars brut de décoffrage, qui avance dans l’enquête comme un chasseur dans le maquis. En traçant bien sa voie, en y laissant des lambeaux de treillis, en emportant ses espérances. Volontaire, oui, mais si peu chanceux. Dans le présent opus, Agostini ne chasse personne, c’est plutôt le destin qui le traque. On trouve un pendu dans le village et aussitôt on le soupçonne. Tout ça parce que d’obscurs maquignonnages se sont tramé, sans qu’il y prenne garde, dès le jour où il a accepté en héritage une maison qui n’était pas la sienne. Or, les maisons ne sont pas dans l’île de simples habitacles autonomes et plus ou moins étanches, mais de véritables réservoirs de mémoire. Des histoires qui croupissent entre les pierres, qui suintent pendant des siècles ou qui surgissent tout à coup, en geysers aussi brûlants qu’une confession. Un cadavre, qu’on vous l’attribue à tort ou non, ça constitue toujours un bon départ pour un flic : le problème majeur de Bati, c’est qu’il ne contrôle pas le point d’arrivée de son enquête. Ni même le remous causé par celle-ci dans un statu-quo fragile. Les choses ne s’oublient pas, elles gisent simplement dans la poussière des consciences. Malheur à celui qui entend nettoyer le monde. Malheur à celui qui croit encore à la naïveté des existences. Agostini porte sans le savoir un flambeau dans une poudrière. Il en sera soufflé, vivant certes, mais anéanti dans ses certitudes, déboussolé. Les bienfaits d’une civilisation de la communication, ou bien les derniers soubresauts d’une mentalité fraternelle ? A chacun d’y retrouver les siens. La vie est si éprouvante.
O.K.
Jean-Pierre Orsi, La nuit de San Matteo
éditions du Journal de la Corse, Ajaccio, 2006, 232 p., 12 €
Voilà un vrai commentaire comme Okuba Kentaro a l'art de les faire, c'est-à-dire après avoir lu en fouillant la chair et l'âme du commissaire Bati Agostini.
La trilogie écrite par Jean-Pierre Orsi est un succés chez les libraires et lors des dédicaces, en Corse et sur le continent malgré le manque de diffusion dont fait l'objet la littérature corse.
Donc, pour moi, un article mérité sans aucun doute. Un auteur talentueux. Un personnage contemporain. A découvrir pour ceux qui ne le connaissent pas déjà...
Rédigé par : Difrade | 12 octobre 2007 à 19:45