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La vérité d'une blonde par Marie-Héléne Ferrari

Libri aperti : et qui on est nous ? par Okuba Kentaro

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Moins rapide que le Libecciu dans le Cap corse, mais plus prompt que la blonde  Marie Hélène Ferrari, Okuba Kentaro livre  sa version de  son voyage au bout de la route, à Barrettali, le 11 août dernier. Savoureux, le samouraï de la West Coast...

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Chapitre un : il faut bien que cela commence quelque part

Nous à Corsicapolar, les aventures intrépides, normalement, ça ne nous intéresse pas : le mieux, vous l’avouerez – excusez ce tic de langage propre à un magistrat à la retraite -, c’est quand même de se mettre sur une terrasse de bar, de commander un café et de regarder passer les femmes sur les trottoirs. Et vers ce bout du monde oublié de la DDE, on ne se sentait pas trop d’y pérégriner. Mais Jean-Pierre Santini, vous le connaissez, c’est une brute épaisse, un géant à la Nicolas Valuev, aux yeux injectés de sang et d‘absinthe frelatée, Jean-Pierre, s’est levé, a touché de la tête le plafond de notre cave secrète, ajoutant aux lézardes pourries de la voûte, l’empreinte indélébile de son cerveau reptilien, Jean-Pierre a jeté sa kalach sur la table, et a hurlé : « ou vous venez, ou il n’y aura plus jamais de terrasses sur les trottoirs ! » On était fier, on est resté impassible. Alors Jean-Pierre a tendu vers Orsi, notre poids lourd de secours, un index courroucé de la taille d’une salsiccia en ajoutant, froid et sadique. « Et il n’y aura plus de bonnets D sur les trottoirs. » C’est un code entre nous. Je ne peux pas vous expliquer. En tout cas, c’était une putain de menaçasse. Il n’y a que Marie-Héléne Ferrari qui a pouffé, mais elle la pauvre, c’est une blonde, et en plus c’est une femme. Ceccaldi, qui est l’intellectuel parmi les plus probes qui soient, a voulu, en fin juriste, faire préciser les termes de cet effroyable chantage. «Et je suppose qu’il n’y aura pas de bonnets E ? ». « Ni d’E, ni de F, ni de G et autres XXL. » A conclu Jean-Pierre. Ugo m’a alors regardé d’un air désespéré.

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Chapitre deux : aller à Barrettali et y rester

Pour sa soirée inaugurale, Jean Pierre avait mis les petits prizzuti dans les grands pains. C’est qu’il y avait, ce beau soir du 11 août 2007, du monde à faire tourner la tête aux Barrettaliens, population paisible et fière, habituellement isolée sur son balcon ouest de la Méditerranée septentrionale. Aller chez eux n’est jamais autre chose que l’expression d’une volonté de défier les éléments routiers. Muletiers, précise Marie-Hélène, elle-même rescapée du périple. Il s’agit en effet d’expliquer à un véhicule automobile, genre particulièrement routinier comme tout un chacun le sait, que les routes peuvent se réduire à la simple et hasardeuse combinaison  d’une couche de bitume fatiguée et d’un à pic bien fringuant. Il s’agit également de se préparer psychologiquement à la conduite d’un tapis volant. Une fois ces deux conditionnements cumulés, on serre très fort sa croix de Saint Christophe et l’on s’envole.
Jusqu’à bon héliport.
Manifestement, et l’on comprend mieux les événements mondiaux actuels à partir d’un tel constat, il y avait bien d’autres fous que nous au hameau de Chioso, dans l’enceinte de la belle confrérie récemment rénovée, des fous qui riaient, qui parlaient, qui lisaient même Oui, oui, il y avait des lecteurs qui avaient bravé les précipices avec la folle insouciance de leur passion immodérée pour nos œuvres géniales. Chapeau (de roue) comme dirait l’autre.
Au moment où Orsi, surnommé le Dieu d’amour mais on ne sait pas pourquoi, a posé la sandale dans l’entrée, la foule en délire s’est subitement tue et immédiatement prosternée. Corsicapolar était là, leur raison d’être et de venir jusqu’en cet omphalos escarpé. La foule communiait.
Alors la bande, flattée certes, mais un brin gênée pour les collègues (ô combien de Thiers, de Fusina, de Vinciguerra, de Rogliano soi-même, l’homme qui aime les arbres, et al. étaient venus, joyeux pour cette course lointaine), invita le fan-club à se relever et à agir comme si de rien n’était.
Nous avons donc vendu un gros paquet de livres, mais à cause des taxes, nous ne vous donnerons pas d’autres détails.
Pendant la pause prandiale, alors que le soleil d’été dardait ses ultimes rayons en direction de d’une lune rosissante et déjà bien allumée elle-même, on s’est rassemblé autour d’une bouteille de rouge, de deux de rosés, et Orsi avait mis de côté, à tout hasard un cubitainer de blanc de Coti Chiavari, celui qui te rend les chèvres complètement fadagues. On en avait bien besoin.

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Chapitre trois : l’arène

Lorsque tout est paru beaucoup plus sombre et vacillant, il fut temps pour tous de rejoindre en zigzaguant l’agora improvisée devant la place de la mairie, avec un bataillon de fauteuils en plastique blanc et la mer Méditerranée en spectatrice sinistre, mais attentive. Nous étions prêts à affronter la redoutable épreuve de la lecture en public (à côté, Fort Boyard c’est de la pulenta).
Le premier d’entre tous, à savoir le municipe Hottier, Antony de son prénom et co-organisateur en chef de la soirée, s’acquitta de sa tache avec beaucoup d’adresse. Le public, des Barrettaliens de souche et des auteurs à peine sortis de leur couche, applaudit à tout rompre, ce qui laissait augurer d’une remarquable mansuétude. Orsi, soulagé, nous fit passer le cubitainer de rosé, qu’il avait apporté en réserve, et à la manière des pachas ottomans, nous nous partageâmes religieusement la pipette. Entrecoupé par des extraits de violons classiques (comme je ne possède pas bien la langue française, je me suis demandé sans oser le faire publiquement, si vraiment la bourrée de Haendel désignait une femme enceinte), des acteurs et des auteurs, des poètes mêmes – car ils ont désormais toutes les prétentions et ne se cachent même plus -, des passionnés ont présenté des extraits plus ou moins longs de la production éditoriale corse récente. Ce fut parfois une découverte et un plaisir toujours, même si la nuit fraîchissait et les cerveaux s’embrumaient (Orsi distribuait désormais le whisky). Jean-Pierre conduisait la soirée avec une délicatesse et une subtilité dans les enchaînements, que nous ne lui soupçonnions guère. Il était le grand artisan de la rencontre et il s’en était merveilleusement occupé.
Et vint, enfin, le moment du débat. Il devait y avoir des questions, mais il n’y en eut en fait qu’une seule qui fut réellement étudiée, la question de la spécificité de la littérature corse.

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Chapitre quatre : s’il n’en reste qu’un…

Tout le monde en conviendra : il s’agit d’une question plutôt récurrente, et pour ma part, je dirais que c’est une question tarte à la crème. Or, le problème des tartes à la crème, c’est qu’elles épargnent bien de peu de monde ; en fait, ainsi que l’a démontré Sennett à maintes reprises, la tarte à la crème produit son propre effet d’amplification. Et à ce jeu-là, les meilleurs sont ceux qui dégainent les premiers. Alors que l’assistance méditait encore, le trio Fusella-Vinciguerra-Thiers frotta ses mains et sortit ses dossiers : nous entrions dans l’arène de leurs réflexions, et ce fut, pendant près d’une heure, échange de propos magistraux, éclairants, définitifs et autoritaires. On en retint quelques grandes phrases maîtresses : il faut des chefs d’œuvre à la littérature corse ; il n’y a pas de critique littéraire dans l’île ; les grands livres de la littérature mondiale doivent se lire dans leur langue d’origine ; bref, le genre de concept qui plait tant aux universitaires et qui s’éloigne des intérêts mêmes des premiers de la chaîne littéraire, à savoir les lecteurs. Petit à petit, ils désertèrent la soirée et ces échanges de haute altitude, qui partaient, tels des Zeppelin de génie au-delà de nos propres et confinées perceptions. Xavier Casanova, le diamantaire de Ghisonaccia-Gare, résuma en un propos lapidaire le sens même du débat : comment interroger le concept de littérature corse au terme d’une soirée de lecture publique ? N’avait-on donc rien entendu de cette création étrange, multiforme, rebelle, balbutiante et tonique ?
De toutes façons, il fallait bien en finir, fût-ce en eau de boudin, et les derniers participants se congratulèrent. Nous allâmes coucher Jean-Pierre qui, épuisé par la préparation de cette grande soirée, s’était endormi pendant le débat. J’ai appris à cette occasion que pour ne pas avoir de cauchemars, l’immense Santini s’endormait toujours avec une grenade offensive quadrillée serrée dans le poing droit. Je ne résiste pas au plaisir de dévoiler ce petit secret intime aux fanas de notre gang.

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Conclusion : la vraie réponse ?

Alors que je traversais le hameau de Piazza à Luri, à 1h13 du matin, une explosion a retenti dans la nuit, suivie presque immédiatement d’une sirène.

Vous avez dit spécifique ?

P.S. Après relecture du présent communiqué par le gang, Marie-Hélène tient absolument à préciser qu’elle a des bonnets D, mais qu’en aucun cas, elle ne se promène devant les terrasses des cafés. Ceccaldi exige pour sa part de soupeser la validité de tels arguments. Quelle belle science que le droit ! Ciao ciao.

Commentaires

Yves

Etrange compte-rendu. Une heure avant le début du débat, Thiers s'était barré avec Gattaceca. Qui a pu parler à sa place ?

 Ugo

Sur la question des bonnets, je n'ai pas préfet attention. Par contre, sur le chemin du retour, je suis passé à Luri bien avant toi parce que moi à 1 H 13 du matin j'étais déjà dans mon lit. Mais sans témoin. Mes chats dormaient depuis longtemps. J'avais décroché, comme disent les militaires, juste avant que le trio Fusella-Vinciguerra-Thiers dégaine leurs dossiers. Grand merci Okuba pour ce compte rendu, prompt et fidéle.

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