Libri aperti : et qui on est nous ? par Okuba Kentaro
13 août 2007
Moins rapide que le Libecciu dans le Cap corse, mais plus prompt que la blonde Marie Hélène Ferrari, Okuba Kentaro livre sa version de son voyage au bout de la route, à Barrettali, le 11 août dernier. Savoureux, le samouraï de la West Coast...
Chapitre un : il faut bien que cela commence quelque part
Nous
à Corsicapolar, les aventures intrépides, normalement, ça ne nous
intéresse pas : le mieux, vous l’avouerez – excusez ce tic de langage
propre à un magistrat à la retraite -, c’est quand même de se mettre
sur une terrasse de bar, de commander un café et de regarder passer les
femmes sur les trottoirs. Et vers ce bout du monde oublié de la DDE, on
ne se sentait pas trop d’y pérégriner. Mais Jean-Pierre Santini, vous
le connaissez, c’est une brute épaisse, un géant à la Nicolas Valuev,
aux yeux injectés de sang et d‘absinthe frelatée, Jean-Pierre, s’est
levé, a touché de la tête le plafond de notre cave secrète, ajoutant
aux lézardes pourries de la voûte, l’empreinte indélébile de son
cerveau reptilien, Jean-Pierre a jeté sa kalach sur la table, et a
hurlé : « ou vous venez, ou il n’y aura plus jamais de terrasses sur
les trottoirs ! » On était fier, on est resté impassible. Alors
Jean-Pierre a tendu vers Orsi, notre poids lourd de secours, un index
courroucé de la taille d’une salsiccia en ajoutant, froid et sadique. «
Et il n’y aura plus de bonnets D sur les trottoirs. » C’est un code
entre nous. Je ne peux pas vous expliquer. En tout cas, c’était une
putain de menaçasse. Il n’y a que Marie-Héléne Ferrari qui a pouffé,
mais elle la pauvre, c’est une blonde, et en plus c’est une femme.
Ceccaldi, qui est l’intellectuel parmi les plus probes qui soient, a
voulu, en fin juriste, faire préciser les termes de cet effroyable
chantage. «Et je suppose qu’il n’y aura pas de bonnets E ? ». « Ni d’E,
ni de F, ni de G et autres XXL. » A conclu Jean-Pierre. Ugo m’a alors
regardé d’un air désespéré.
Chapitre deux : aller à Barrettali et y rester
Pour
sa soirée inaugurale, Jean Pierre avait mis les petits prizzuti dans
les grands pains. C’est qu’il y avait, ce beau soir du 11 août 2007, du
monde à faire tourner la tête aux Barrettaliens, population paisible et
fière, habituellement isolée sur son balcon ouest de la Méditerranée
septentrionale. Aller chez eux n’est jamais autre chose que
l’expression d’une volonté de défier les éléments routiers. Muletiers,
précise Marie-Hélène, elle-même rescapée du périple. Il s’agit en effet
d’expliquer à un véhicule automobile, genre particulièrement routinier
comme tout un chacun le sait, que les routes peuvent se réduire à la
simple et hasardeuse combinaison d’une couche de bitume fatiguée et
d’un à pic bien fringuant. Il s’agit également de se préparer
psychologiquement à la conduite d’un tapis volant. Une fois ces deux
conditionnements cumulés, on serre très fort sa croix de Saint
Christophe et l’on s’envole.
Jusqu’à bon héliport.
Manifestement,
et l’on comprend mieux les événements mondiaux actuels à partir d’un
tel constat, il y avait bien d’autres fous que nous au hameau de
Chioso, dans l’enceinte de la belle confrérie récemment rénovée, des
fous qui riaient, qui parlaient, qui lisaient même Oui, oui, il y avait
des lecteurs qui avaient bravé les précipices avec la folle insouciance
de leur passion immodérée pour nos œuvres géniales. Chapeau (de roue)
comme dirait l’autre.
Au moment où Orsi, surnommé le Dieu d’amour
mais on ne sait pas pourquoi, a posé la sandale dans l’entrée, la foule
en délire s’est subitement tue et immédiatement prosternée.
Corsicapolar était là, leur raison d’être et de venir jusqu’en cet
omphalos escarpé. La foule communiait.
Alors la bande, flattée
certes, mais un brin gênée pour les collègues (ô combien de Thiers, de
Fusina, de Vinciguerra, de Rogliano soi-même, l’homme qui aime les
arbres, et al. étaient venus, joyeux pour cette course lointaine),
invita le fan-club à se relever et à agir comme si de rien n’était.
Nous avons donc vendu un gros paquet de livres, mais à cause des taxes, nous ne vous donnerons pas d’autres détails.
Pendant
la pause prandiale, alors que le soleil d’été dardait ses ultimes
rayons en direction de d’une lune rosissante et déjà bien allumée
elle-même, on s’est rassemblé autour d’une bouteille de rouge, de deux
de rosés, et Orsi avait mis de côté, à tout hasard un cubitainer de
blanc de Coti Chiavari, celui qui te rend les chèvres complètement
fadagues. On en avait bien besoin.
Chapitre trois : l’arène
Lorsque
tout est paru beaucoup plus sombre et vacillant, il fut temps pour tous
de rejoindre en zigzaguant l’agora improvisée devant la place de la
mairie, avec un bataillon de fauteuils en plastique blanc et la mer
Méditerranée en spectatrice sinistre, mais attentive. Nous étions prêts
à affronter la redoutable épreuve de la lecture en public (à côté, Fort
Boyard c’est de la pulenta).
Le premier d’entre tous, à savoir le
municipe Hottier, Antony de son prénom et co-organisateur en chef de la
soirée, s’acquitta de sa tache avec beaucoup d’adresse. Le public, des
Barrettaliens de souche et des auteurs à peine sortis de leur couche,
applaudit à tout rompre, ce qui laissait augurer d’une remarquable
mansuétude. Orsi, soulagé, nous fit passer le cubitainer de rosé, qu’il
avait apporté en réserve, et à la manière des pachas ottomans, nous
nous partageâmes religieusement la pipette. Entrecoupé par des extraits
de violons classiques (comme je ne possède pas bien la langue
française, je me suis demandé sans oser le faire publiquement, si
vraiment la bourrée de Haendel désignait une femme enceinte), des
acteurs et des auteurs, des poètes mêmes – car ils ont désormais toutes
les prétentions et ne se cachent même plus -, des passionnés ont
présenté des extraits plus ou moins longs de la production éditoriale
corse récente. Ce fut parfois une découverte et un plaisir toujours,
même si la nuit fraîchissait et les cerveaux s’embrumaient (Orsi
distribuait désormais le whisky). Jean-Pierre conduisait la soirée avec
une délicatesse et une subtilité dans les enchaînements, que nous ne
lui soupçonnions guère. Il était le grand artisan de la rencontre et il
s’en était merveilleusement occupé.
Et vint, enfin, le moment du
débat. Il devait y avoir des questions, mais il n’y en eut en fait
qu’une seule qui fut réellement étudiée, la question de la spécificité
de la littérature corse.
Chapitre quatre : s’il n’en reste qu’un…
Tout
le monde en conviendra : il s’agit d’une question plutôt récurrente, et
pour ma part, je dirais que c’est une question tarte à la crème. Or, le
problème des tartes à la crème, c’est qu’elles épargnent bien de peu de
monde ; en fait, ainsi que l’a démontré Sennett à maintes reprises, la
tarte à la crème produit son propre effet d’amplification. Et à ce
jeu-là, les meilleurs sont ceux qui dégainent les premiers. Alors que
l’assistance méditait encore, le trio Fusella-Vinciguerra-Thiers frotta
ses mains et sortit ses dossiers : nous entrions dans l’arène de leurs
réflexions, et ce fut, pendant près d’une heure, échange de propos
magistraux, éclairants, définitifs et autoritaires. On en retint
quelques grandes phrases maîtresses : il faut des chefs d’œuvre à la
littérature corse ; il n’y a pas de critique littéraire dans l’île ;
les grands livres de la littérature mondiale doivent se lire dans leur
langue d’origine ; bref, le genre de concept qui plait tant aux
universitaires et qui s’éloigne des intérêts mêmes des premiers de la
chaîne littéraire, à savoir les lecteurs. Petit à petit, ils
désertèrent la soirée et ces échanges de haute altitude, qui partaient,
tels des Zeppelin de génie au-delà de nos propres et confinées
perceptions. Xavier Casanova, le diamantaire de Ghisonaccia-Gare,
résuma en un propos lapidaire le sens même du débat : comment
interroger le concept de littérature corse au terme d’une soirée de
lecture publique ? N’avait-on donc rien entendu de cette création
étrange, multiforme, rebelle, balbutiante et tonique ?
De toutes
façons, il fallait bien en finir, fût-ce en eau de boudin, et les
derniers participants se congratulèrent. Nous allâmes coucher
Jean-Pierre qui, épuisé par la préparation de cette grande soirée,
s’était endormi pendant le débat. J’ai appris à cette occasion que pour
ne pas avoir de cauchemars, l’immense Santini s’endormait toujours avec
une grenade offensive quadrillée serrée dans le poing droit. Je ne
résiste pas au plaisir de dévoiler ce petit secret intime aux fanas de
notre gang.
Conclusion : la vraie réponse ?
Alors que je traversais le hameau de Piazza à Luri, à 1h13 du matin, une explosion a retenti dans la nuit, suivie presque immédiatement d’une sirène.
Vous avez dit spécifique ?
P.S. Après relecture du présent communiqué par le gang, Marie-Hélène tient absolument à préciser qu’elle a des bonnets D, mais qu’en aucun cas, elle ne se promène devant les terrasses des cafés. Ceccaldi exige pour sa part de soupeser la validité de tels arguments. Quelle belle science que le droit ! Ciao ciao.
Etrange compte-rendu. Une heure avant le début du débat, Thiers s'était barré avec Gattaceca. Qui a pu parler à sa place ?
Rédigé par : Yves | 16 août 2007 à 12:01
Sur la question des bonnets, je n'ai pas préfet attention. Par contre, sur le chemin du retour, je suis passé à Luri bien avant toi parce que moi à 1 H 13 du matin j'étais déjà dans mon lit. Mais sans témoin. Mes chats dormaient depuis longtemps. J'avais décroché, comme disent les militaires, juste avant que le trio Fusella-Vinciguerra-Thiers dégaine leurs dossiers. Grand merci Okuba pour ce compte rendu, prompt et fidéle.
Rédigé par : Ugo | 13 août 2007 à 18:08