Les bons coups de Tonton Ok par Okuba Kentaro
09 mars 2007
Comme je participe à grand peine à Corsicapolar (c’est fou comme la Corse
peut agir en profondeur sur l’hyperactivisme nippon), j’ai concocté à
votre attention, subtils lecteurs, un pot-pourri, comme vous dîtes si
joliment, de mes meilleurs moments de lecture de ces dernières années.
Vous découvrirez ici des textes assez inattendus côtoyant des
poids-lourds de la catégorie. Dans tous les cas, si vous avez la veine
perverse du lecteur de fond, vous serez agréablement payé en retour de
vos investissements.
Bon,
vous me faîtes un résumé pour la semaine prochaine, et je déciderai
ensuite si je vous octroie l'honneur de continuer à me lire. Noirement...
Electre à la Havane
On sait tout des îles, sinon qu’elles sont des prisons. Cuba ne déroge pas à la règle ; ses soleils et ses langueurs océanes sont le décor sublime d’une insupportable captivité, la pire qui soit pour des Latins, le silence.
Léonardo Padura a choisi de lever le voile, de donner des mots à l’angoisse sourde, mais avec cette élégance rare des vieux comédiens. Comédie est d’ailleurs le thème de cette Electre à la Havane, comédie et art du postiche, de l’illusion. Le jeune Alexis Arayàn, si beau, si riche, est mort cette nuit. Etranglé et habillée en femme. Ou plus exactement portant le costume d’Electre, une héroïne grecque revisitée par un artiste rebelle, son ami et pas vraiment amant, l’inquiétant et envoûtant Alberto Marquès. Voici donc les fils du drame, en quelques lignes décousus, et laissés, tissu de mensonges, à la sagacité d’un flic, Mario Conde, qui ne croit plus à la police, ni à la jeunesse. Ni même au base-ball. Lorsqu’on ne sait rien du meurtrier, on essaie de tout savoir de la victime, et Conde de remonter le temps de cette jeune existence malheureuse, le temps de découvrir la sinistre face gay de la capitale cubaine, le temps de comprendre que la vie n’accorde pas à tous la sérénité de l’âme. Roman policier décalé, un brin dans l’esprit d’Ignacio Paco Taibo II, dans un style un brin plus flamboyant encore, Padura sait tenir son histoire avec nonchalance. Les premières pages sont puissantes et énigmatiques. Le dénouement se laisse un peu trop entrevoir, mais après tout, le but du jeu n’est-il pas de présenter des perspectives ouvrant sur l’infini. Comme le dit l’un des personnages « Le masque pour le plaisir du masque » et tant pis s’il ne recouvre que le néant. La littérature prétend-elle autre chose ? Au son d’un paso doble, mélancolique et flou, danse Havane pour un infant défunt.
Leonardo Padura, Electre à la Havane , traduction de René Solis et Maria Hernandez, éditions Métailié, 254 p., 2006, 6,50 €
Givré total
Hrolf Ketilsson, surnommé le Céleste, fils de Ketil Trout, fils d’Eyjolf Kjartan la Terreur, fils de Hrapp le tueur d’Edeby, fils du dieu Odin, roi du Caithness, a le sommeil plus lourd que sa carte de visite. Avec douze de ses braves, des héros impavides et broussailleux, dont un magicien incompréhensible et un surdoué de la métamorphose, il roupille depuis quelques 1200 ans dans un tumulus viking, quelque part dans le n’importe où des grands plateaux et landes écossaises. Il doit être réveillé le jour où il sera l’heure du plus grand et dernier
combat avec le roi-sorcier, maître du mal et de l’univers.
Bien entendu, c’est le chantier de construction d’un pipe-line qui déclenche la procédure archéologique d’urgence, et la jeune et bienveillante Hildy Fredericksen, une archéologue au cerveau tout aussi embrumé par les légendes que les terres nordiques qui leur donnèrent naissance, leur sert de réveille-matin. Quitter le drakkar, prendre un autobus, foncer vers Londres, ou tout du moins essayer, et avec une compagnie de géants hirsutes et braillards,
avides de bière guiness et de fish and ships, voici un bon programme déjà. Ajoutez à cela, deux esprits chtoniens qui se chamaillent dans une version délirante du Monopoly depuis la création du monde, et vous aurez une courte idée de l’hilarante odyssée ici représentée. Tom Holt va vite et ne perd point de temps en descriptions inutiles, son tour de main magique fait naître scènes cocasses et absurdes à volonté, comme dans un très grand film des Monty Python. Surtout, et c’est tellement appréciable en notre époque de tuerie de masse, Holt ne cède pas à la tentation des aventures gore (on est ici à mille lieues normandes de Elric de Ménilboré ou de Conan le Barbare). Les Vikings sont là pour le fun, givrés et fair-play, s’ils n’ont pas de planche, ils ont le sourire illuminé et bonace d’un
surfer heureux, et leur ennemi lui-même, le méchant Beowulf se révèlera plus bête que cruel. Après tout, quand on a attendu mille deux cents ans, on n’a plus la même envie de se quereller.
Petit regret : la traduction du titre, littérale certes, mais qui ne rend pas du tout l’allusion à la chanson des petits cochons de Disney (Qui a peur du méchant loup ?).
Tom Holt, Qui a peur de Beowulf ?, traduction de Marianne Féraud, Editions Bragelonne, 2006
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